Coco ~ Lee Unkrich & Adrian Molina

Depuis Vice-Versa en 2015, les studios Pixar n’ont pas particulièrement brillé au royaume du film d’animation. Si Cars 3, sorti cette année, s’est révélé un honorable film familial mêlant action et émotion, on ne peut pas en dire autant du Voyage d’Arlo, pâle copie jurassique du Roi Lion plutôt passée inaperçue, et du Monde de Dory, qui nageait un peu trop dans le sillon de son aîné Nemo. Avec Coco, un projet original mené par Adrian Molina et Lee Unkrich (l’un des réalisateurs phares du studio déjà à l’origine du parfait Toy Story 3), le public était en droit d’attendre des studios Pixar qu’ils renouent une bonne fois pour toutes avec leur capacité à émerveiller petits et grands et avec une qualité originelle aussi bien visuelle que scénaristique, mais surtout émotionnelle. Si la promotion et l’introduction du film laissaient présager une histoire des plus banales, Coco relève pourtant le défi haut la main, en nous entraînant joyeusement au pays des morts pour un retour aux sources salvateur.

À l’instar des meilleurs longs-métrages Pixar, Coco fait preuve d’une inventivité visuelle foisonnante. Dans un tourbillon de couleurs et d’énergie, le film nous fait voyager allègrement entre le monde des vivants, où le jeune Miguel ne peut s’adonner à sa passion pour la musique (celle-ci étant bannie de sa famille depuis des générations), et le monde des défunts, dans lequel le garçon partira à la recherche de ses origines, pour éclaircir le secret qui ronge ses proches depuis si longtemps. Au Mexique, chez les vivants, le jour des morts est une fête et Pixar nous le fait savoir : entre guirlandes, fleurs par milliers, feux d’artifice et profusion d’offrandes, rien n’est laissé au hasard pour faire honneur, dans la félicité et l’unité familiale, à ceux qui sont partis. Au royaume des morts, l’ambiance est également à la joie : squelettes fantasques, mélodies revigorantes et animaux fabuleux multicolores – dont Pepita, cette somptueuse panthère volante – font de Coco un spectacle bien plus pétillant que funèbre.

On retrouve alors dans Coco cette obsession du concept si chère à Pixar, celle qui pousse les créateurs à imaginer un univers total et autonome, où les interactions entre les êtres humains et les personnages imaginaires savent se faire crédibles. Les jouets de Toy Story, les créatures de Monstres et cie, les émotions de Vice-Versa, habitants hauts en couleurs de mondes parallèles au nôtre, participent à l’enchantement de notre réalité, par le simple pouvoir de l’animation. Ici, ce sont les défunts, venus jusqu’à nous par un pont constitué de pétales dorés, qui nous ramènent à la vie, pour mieux nous aider à la comprendre et à la sublimer. Pixar trouve ici une façon pour le moins originale et bienveillante d’aborder la mort, ce sujet tabou qui hante l’art depuis la nuit des temps, avec les plus jeunes. Grâce à un dynamisme communicatif, où se mêlent numéros musicaux et moments de suspense, à un humour enfantin bienfaisant, surtout incarné par une Frida Kahlo exubérante et le chien Dante, hilarant par sa démarche maladroite, son air ahuri et sa langue pendante, et à une poésie merveilleuse, tant à l’image que dans le propos, Coco présente intelligemment la mort comme un monde acceptable, où règnent douceur et légèreté.

Par une maturité qui se révèle petit à petit et un récit initiatique plus complexe qu’il n’y paraît, ce grisant périple dans l’au-delà parvient également à satisfaire les adultes en quête de sens. Sous ses airs fantastiques et paradisiaques, le royaume des esprits est aussi un triste reflet de notre réalité. Derrière la joie ambiante et la beauté architecturale du lieu, à la fois céleste et hyper-urbain, se dévoilent les maux de notre société actuelle : l’incompétence des services administratifs, aussi oppressants qu’inhumains ; la corruption du monde du spectacle, où restent dans l’ombre les véritables artistes, cachés derrière l’arrogance des usurpateurs ; l’opulence de la vie des privilégiés, entre buildings d’acier, fêtes privées et buffets à volonté ; la misère des bas quartiers, où déambulent sans but les laissés-pour-compte de l’autre monde, des « sans famille » dont le souvenir s’efface peu à peu dans le cœur des vivants.

Toute l’émotion de Coco repose d’ailleurs ici, dans cette idée, courante chez Pixar, de la peur de l’oubli. À travers le lien attachant qui unit Miguel et son arrière-grand-mère Coco, le film, au rythme de la chanson Ne m’oublie pas (d’abord hymne populaire puis sérénade intimiste), nous invite chaleureusement à reconsidérer les personnes oubliées de notre famille et à écouter avec le cœur toutes les histoires de grand-mère qui sont à notre portée, pour ne jamais oublier d’où l’on vient et qui l’on est. En plus d’apprendre la mort aux enfants, Coco, par un scénario incroyablement riche qui va de surprise en surprise, ouvre les yeux des adultes sur la puissance des récits familiaux : en considérant assez justement les rares pensées que l’on accorde à nos ancêtres, le film prône l’immortalisation du souvenir par la parole, et ce de génération en génération, pour ne pas laisser s’éteindre l’image, la mémoire, la vie de nos aïeux. Le propos de Coco, qui aurait alors pu tomber dans une tristesse sinistre ou dans un déferlement de bons sentiments, ne manque finalement pas d’affirmer son universalité.

Bien loin de La Légende de Manolorelecture simpliste du mythe d’Orphée en terre mexicaine, et de l’univers sombre de Tim Burton croisé notamment dans Les Noces Funèbres ou L’Étrange Noël de monsieur JackCoco enchante par ses couleurs chatoyantes, ses notes de musique vivifiantes et sa célébration universelle du lien familial. En plus de perpétuer l’émerveillement dans les yeux et le cœur des spectateurs de tous âges, Pixar continue d’explorer des thématiques singulières et profondes, déjà sublimées dans Toy StoryLà-Haut ou encore Cars, telles que le passage inexorable du temps, les valeurs de l’héritage et de la transmission, et surtout, le rôle de la famille dans la construction affective et psychologique d’un être humain. Dans un voyage flamboyant qui magnifie aussi bien la mort que la vie elle-même, Coco revendique fièrement son identité pixarienne et nous rappelle, par la force évocatrice des images, l’importance de raconter des histoires, au cinéma comme dans la vie.


10 réflexions sur « Coco ~ Lee Unkrich & Adrian Molina »

  1. Tes critiques et avis sont toujours super agréables à lire (j’ai l’impression de te dire ca à chaque fois que je commente par ici) ! J’aimerais avoir ta plume…

    Je n’ai pas encore eu l’occasion de visionner Coco, mais je crois n’avoir croisé encore aucune critique négative ou semi-enthousiaste. Après les moyens Cars 2 et 3 (surtout le 2 d’ailleurs), le Monde de Dory et Moana (loin d’être inoubliables), je suis d’autant plus curieuse.

    Bon après, je suis pas certaine de revoir un Pixar à la hauteur de Toy Story 3 et Là-Haut (absolument parfaits), mais on n’est jamais à l’abri d’une surprise 🙂

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    1. Merci pour le compliment, ça fait toujours chaud au cœur de lire des commentaires comme celui-là ! 🙂 Ça encourage à poursuivre !

      Très sincèrement, j’allais voir Coco un peu à reculons : le sujet, le folklore mexicain et le fait que ce soit un film musical m’inquiétaient un peu… Mais finalement, c’est très dur de ne pas craquer. Les thèmes abordés sont très matures et l’émotion vraiment forte.

      Avec leurs derniers films vraiment moyens, on a effectivement peur de ne pas revoir de grands chefs-d’oeuvre chez eux… Avec Coco, on retrouve un peu foi en eux (peut-être temporairement), car il y a cette magie si particulière qui fait qu’on ne peut que tomber amoureux du film !

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  2. Excellente analyse ! Je suis allé le voir hier et j’ai passé un super moment. Un très beau film avec une vraie morale. Impossible de ne pas lâcher une larme à la fin du film…. Après tout, c’est vrai nous finirons tout tôt ou tard dans l’oubli….

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  3. Coucou ! J’ai hâte de le découvrir. Cela fait drôlement envie. Pour tout te dire c’est le fond d’écran sur mon ordinateur ce Coco, sa guitare et son petit chien. Les sujets abordés, le style, les couleurs, Pixar, ta très belle critique, tout m’incite à allez le voir en salle. On en reparlera ensemble. merci pour ce beau partage, je te souhaite une excellente soirée Emilie ! 🙂 toujours un plaisir de te lire !

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    1. Personnellement, rien ne me faisait très envie dans la bande-annonce et la promotion du film… Mais finalement, c’est une excellente surprise et je me suis laissée porter par la beauté et le sujet de ce Pixar ! C’est très difficile de résister en même temps ! J’espère que Coco te plaira autant qu’à moi, Frédéric !
      Passe une bonne journée et un bon week-end ! 🙂

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          1. moi c’est « là haut » et « wall E ».. et plus très loin derrière « Coco ». C’est vrai que « Monstres et Cie » est chouette aussi tout comme « Vice Versa ». Dur de faire son choix tant la qualité est de mise chez Pixar. Excellente soirée Emilie 🙂

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