Master Of None (saison 3) – Moments in Love ~ Aziz Ansari & Alan Yang

Before Sunset

Quatre ans après la diffusion de sa deuxième saison, Master of None a débarqué ce printemps sur nos petits écrans dans l’indifférence générale. En toute discrétion, sans promotion aucune, la série d’Aziz Ansari et Alan Yang faisait pourtant son grand retour sur la plateforme Netflix, après de longues années de silence devenues pour le moins inquiétantes. Depuis son accusation d’inconduite sexuelle en 2018, Aziz Ansari est passé du statut de grande icône comique à celui de paria que tout le monde adore détester. Une raison suffisante pour faire tomber dans l’oubli cet artiste aux multiples talents, trop vite jugé et condamné sur l’autel de la bien-pensance. C’est pourtant dans les séries les moins médiatisées que se cachent les plus beaux trésors, et Master of None ne déroge pas à la règle : œuvre à la fois audacieuse dans sa forme et profondément contemporaine dans son sujet, Moments in Love est sans aucun doute ce que nous verrons de plus beau en cette année 2021.

Dans cette troisième saison qui revêt davantage des allures de spin-off que de suite, Aziz Ansari choisit de reléguer son propre personnage (Dev Shah, acteur new-yorkais d’origine indienne) au second plan, pour mieux se concentrer sur Denise, personnage secondaire des premiers volets, ici devenue écrivaine à succès et héroïne de sa propre histoire. Un geste empli d’humilité, presque craintif, comme si Ansari redoutait de se retrouver à nouveau sous le feu des projecteurs. Dans sa façon de filmer également, l’acteur-créateur reste en retrait, immobile, loin des personnages dont il explore pourtant l’intimité. Ce qui pourrait passer pour de la froideur devient chez Ansari une simplicité ravageuse, une puissance émotionnelle à nulle autre pareille. Devant cette succession de plans fixes à la beauté fulgurante, face à cette mélancolie qui s’immisce au cœur de chaque scène, nous retrouvons ce qui faisait déjà toute la beauté de la série dans les premières saisons, dans des épisodes aussi touchants que Mornings ou First Date.

Pour peindre le quotidien de Denise et de son épouse Alicia, Moments in Love troque l’effervescence new-yorkaise et la dolce vita italienne des premiers volets contre la tranquillité de la vie à la campagne. Dans leur grande maison en pleine nature, décorée avec goût et entourée de calme, les deux jeunes femmes dévoilent leur vie de couple : de leur complicité à leur déchirement, en passant par leurs espoirs de fonder une famille, leurs rêves professionnels, leurs regrets et leurs désillusions, c’est toute une vie qui défile sous nos yeux. En mettant en scène le quotidien de ces deux héroïnes ordinaires avec une immense pudeur et un réalisme prégnant, qui ne manquent pas de rappeler la trilogie des Before de Richard Linklater, Moments in Love devient une grande œuvre sur l’accomplissement de soi et sur le temps qui passe, notamment dans ses deux épisodes finaux, qui retracent le combat d’Alicia pour devenir mère célibataire et les retrouvailles des ex-compagnes après avoir pris des chemins de vie différents.

Profondément intimiste et humaine, cette troisième saison se montre également aux prises avec les luttes de notre société moderne. Chargée de culture afro-américaine, parsemée de répliques bien senties sur la tolérance, engagée sans pour autant laisser poindre une once de revendication féministe ou antiraciste, Moments in Love est ce qui pouvait arriver de mieux pour la représentation des minorités sur petit écran. Avec un naturel désarmant et la plus grande des sincérités, Aziz Ansari ne se préoccupe ni de choquer le spectateur ni de tomber dans la propagande, et filme purement et modestement ces deux femmes noires dans leur romance contrariée. Sans jamais utiliser de grands discours sentencieux, simplement en mettant en lumière le combat de ses héroïnes, leur persévérance et les écueils de leurs parcours personnels, Moments in Love s’impose alors comme une œuvre politique unique et majeure, réellement susceptible de faire évoluer les consciences.

Étonnant à la fois par son esthétique figée, par ses cinq petits épisodes à la durée complètement aléatoire (de vingt minutes à une heure) et par son regard empli de maturité sur notre monde contemporain, ce troisième volet de Master of None détonne non seulement par rapport aux deux premières saisons, mais fait également figure d’exception parmi les productions actuelles. Plus que jamais, Ansari utilise volontiers l’humour, le langage et la lenteur pour panser les plaies du monde mais aussi, avec une délicatesse et un effacement de plus en plus marqués, pour témoigner de sa propre rédemption. Si cette saison aurait dû réhabiliter une bonne fois pour toutes la sensibilité à fleur de peau et le talent fou d’Ansari devant et derrière la caméra, elle restera malheureusement le symbole de l’impossible réconciliation entre l’acteur-créateur et son public. Comme il nous le confiait avec amertume dans son one-man-show Right Now, Aziz Ansari profite des opportunités qu’il lui reste pour exposer sa vision d’artiste aux yeux du monde, avant que le soleil ne se couche sur son parcours chaotique mais indubitablement exceptionnel.

Une réflexion sur « Master Of None (saison 3) – Moments in Love ~ Aziz Ansari & Alan Yang »

  1. Coucou Emilie, tu parles de cette série que je ne connaissais pas avec beaucoup de justesse. Je ne connaissais pas non plus les déboires de cet acteur. Je n’aime pas crier avec les loups. Le mouvement MeToo aux Etats-Unis a aussi ces abus je trouve. C’est dommage de limiter cet acteur à ce fait divers je te rejoins totalement. Je te souhaite un beau weekend. C’est toujours un plaisir de te lire ! 😊

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