Master of None (saison 2) ~ Aziz Ansari & Alan Yang

La vita è bella

Nous avions quitté Aziz Ansari et son fabuleux programme Master of None il y a déjà deux ans : son personnage, Dev Shah, un jeune new yorkais d’origine indienne indécis et volubile, sortait de sa rupture avec la belle Rachel et avait décidé, pour combler sa solitude et sa gourmandise, d’aller poser ses valises en Italie. Nous le retrouvons donc, pour le début de cette deuxième saison, dans les rues de Modène, à bicyclette, totalement hors du temps, voguant vers des horizons cinématographiques familiers, des idées folles de mise en scène, des moments comiques emplis de tendresse et de nouvelles tergiversations, et surtout vers d’autres relations amoureuses plus ou moins bienheureuses.

La saison 2 de Master of None étonne d’abord par sa liberté de forme : longueur variable des épisodes (le neuvième, « Amarsi Un Po », dure près d’une heure au lieu des trente minutes habituelles), exploitation à plein de la répétition dans les épisodes « First Date » et « Thanksgiving », où se succèdent des rendez-vous et des repas de famille tous plus catastrophiques les uns que les autres, et prises de risques dans la réalisation sont de mise dans le deuxième volet de cette comédie parfois déroutante mais toujours passionnante. Dans le sixième épisode « New York, I Love You », Aziz Ansari et Alan Yang choisissent même de tourner toute une partie sans son, pour suivre avec davantage de réalisme le quotidien d’une jeune afro-américaine malentendante. Dans ce même épisode, les personnages habituels – Dev et ses amis Arnold et Denise – apparaissent seulement quelques secondes pour laisser place à des individus lambda, qui font toute la beauté et la singularité d’une grande ville comme New York.

Par ces dispositifs inattendus, Aziz Ansari et Alan Yang semblent bel et bien décidés à s’emparer du format de la comédie pour l’emmener vers quelque chose de plus ambitieux, mais aussi de plus personnel. Dès le premier épisode, tourné en noir et blanc et où l’accent italien résonne dans les dialogues, les références fusent : Le Voleur de BicycletteLa Dolce VitaL’Avventura et même Journal Intime de Nanni Moretti viennent donner à Master of None une dimension cinématographique et artistique, malheureusement absente de nombreuses séries comiques. Pour Dev, l’Italie et son atmosphère propice à la douceur de vivre, au romantisme et à l’allégresse lui donnent matière à introspection. Au pays du néoréalisme et des pâtes à la bolognaise, les douleurs amoureuses s’atténuent pour donner naissance à des espoirs de renouveau. Pourtant, dans le dessein de ce jeune homme au grand cœur, Ansari et Yang, sans rien perdre de leur tendresse, nous plongent dans une réalité qui finit toujours par reprendre ses droits.

Dès son retour à New York, Dev renoue avec le tourbillon de la vie moderne : rencontres sur des applications où chacun choisit son futur partenaire comme au supermarché, spéculations sur le dernier film d’horreur à la mode qu’il faut absolument voir pour éviter les spoilers et animation d’une émission culinaire au doux nom de Clash of the Cupcakes, loin de combler les ambitions télévisuelles de Dev en tant qu’acteur, nous éloignent rapidement de l’Italie et de ses douces saveurs. Seule respiration dans cette Big Apple où règnent la solitude et les entreprises vouées à l’échec, Francesca, une jeune femme rencontrée à Modène avec qui Dev s’est lié d’amitié. Passionnée d’art, toujours prête à s’amuser et sur la même longueur d’ondes que notre cher protagoniste, Francesca apprendra à ce dernier que l’amour, dans sa forme la plus pure, ne se calcule pas. Dans les scènes entre les deux personnages, Master of None atteint des sommets de romantisme, où se mêlent une douceur bienvenue et un franc sentimentalisme.

La série ne délaisse pas pour autant ses accents comiques et ses discours politiques subtils. Le rire élit bel et bien domicile, que ce soit dans une rue étroite de Modène lors d’un accident de voiture malencontreux, lors d’un tête-à-tête loufoque avec une jeune indienne qui semble bien décidée à parler de tout sauf d’amour, ou lorsqu’un couple de sourds-muets se dispute en plein milieu d’un magasin à propos de ses problèmes sexuels. Comme dans la première saison, l’humour, s’il est parfois burlesque, emprunte surtout la voie de l’humanité et de la tolérance. Dans les épisodes « Thanksgiving » et « Religion », Ansari et Yang abordent sans complexe et avec beaucoup de légèreté les thèmes de l’homosexualité et de la religion musulmane. Par le dialogue et la communication, l’acceptation des différences se fait parfois difficile mais se résout toujours dans la bienveillance et la compréhension. Il faut voir Dev apprendre à ses parents très pieux qu’il mange du porc et boit de l’alcool pour comprendre que chacun a son propre mode de vie, aussi libertaire ou dévot soit-il.

Dans cette deuxième saison foisonnante et protéiforme, Aziz Ansari et Alan Yang prouvent une nouvelle fois leur incroyable capacité à dépeindre avec réalisme le quotidien d’un trentenaire pris dans les affres de l’existence moderne. En misant davantage sur la mélancolie et le romantisme, en flirtant parfois avec l’expérimental et en assumant ses citations cinématographiques, Master of None aura certainement perdu quelques spectateurs en route, mais n’aura pas manqué de renforcer les liens qui l’attachaient aux cœurs déjà amoureux de son inventivité, de son intelligence et de son humour bienfaisant. Grâce à des personnages hyperréalistes et des situations dans lesquelles chacun peut se retrouver, la série continue de creuser le sillon de la première saison, qui se faisait déjà le miroir d’une génération en mal d’amour et d’équilibre. Bien loin du cynisme de ses contemporains, Master of None a su braver la désillusion et la vulgarité ambiantes pour devenir le portrait collectif d’une jeunesse en quête de réponses et de simplicité.

4 réflexions sur « Master of None (saison 2) ~ Aziz Ansari & Alan Yang »

  1. Coucou Emilie ! c’est chouette cette critique sur RETRO HD qui est par ailleurs un excellent site. Tu le sais je suis loin d’être un expert en série mais j’ai toujours autant de plaisir à te lire. Je te le dis en toute sincérité, de tous les blogs que je visite en matière de cinéma, tu es celle qui me donne le plus envie de découvrir ces films et autre séries coup de cœur pour toi ou pas d’ailleurs. Passe une belle soirée ! @très vite 🙂

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    1. Merci Frédéric pour tes retours toujours positifs ! 🙂 Je suis venue sur WordPress surtout pour pouvoir partager mes coups de coeur, et avec des commentaires comme les tiens, je ne regrette pas d’avoir choisi cette plateforme qui permet l’échange et la découverte ! Merci encore, et belle journée ! 🙂

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  2. Merci pour tes notes très justes et pertinentes pour cette série vraiment formidable.
    Tu as juste omis l’incroyable bande son de la deuxième saison : le grand Lucio Battisti, Morricone (période varioétoche des films de Samperi, Patroni Griffi ,…) Shuggie Otis, Frankie Knuckles, Skeeter Davis, Soft Cell (la scène à l’arrière du taxi).
    Sélection réellement audacieuse, fine et pointue qui colle totalement avec la direction prise par les scénaristes.
    A très bientôt.
    M.

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