La vie des autres
Après son merveilleux Midnight Special, Jeff Nichols était attendu au tournant pour son deuxième film de studio, présenté au dernier Festival de Cannes. Pour la toute première fois, le cinéaste choisit de baser son récit sur des faits historiques : Loving revient sur le destin de Richard et Mildred Loving, un homme blanc et une femme noire condamnés à quitter leur foyer après leur mariage interracial dans l’Amérique des années 1950. Malgré un sujet nimbé de bonnes intentions, le film n’a malheureusement pas su convaincre les fans du cinéaste, et pour cause. Loin de la tension de Shotgun Stories, de la douceur de Mud et de la sublime paranoïa de Take Shelter, l’enfant chéri du cinéma indépendant semble avoir perdu de sa splendeur sur les pavés dorés d’Hollywood, en s’éloignant considérablement de l’aspect personnel et intimiste de ses précédents films.
Toutes les conditions étaient pourtant réunies pour que Loving soit un film au plus proche de ce que Nichols nous avait déjà offert : dans un coin champêtre de l’état de Virginie, le couple Loving, à l’instar des personnages de Take Shelter ou Midnight Special, fait tout son possible pour préserver son cocon familial des dangers extérieurs, à savoir l’opposition des institutions à leur mariage pourtant régi par l’amour. Cependant, là où Nichols dressait habilement le tableau de relations filiales ou fraternelles où se mêlaient force et pudeur, il échoue ici à donner corps à cette cellule familiale contrariée et à interroger à nouveau cette notion qui lui est chère. Pire encore, le cinéaste ne fait absolument rien d’un scénario pourtant digne de l’Odyssée d’Homère, où il s’agirait pour cet Ulysse des temps modernes et sa femme de braver vents et marées avant de retrouver leur foyer pour y construire enfin leur famille.
Sur la forme, Loving est également une déception. Si la photographie est plutôt réussie, le style habituellement si contemplatif de Nichols se transforme ici en une succession de scènes d’une platitude déconcertante, dénuées d’intérêt, de frissons et surtout de fil dramatique. Malgré la lenteur de sa réalisation et un récit propice à l’accumulation d’épisodes déterminants, Loving ne parvient jamais à illustrer le combat de ses deux protagonistes, qui semble se résoudre d’une manière bien trop simpliste, ni à faire ressentir la durée qui s’écoule entre leur condamnation et le moment espéré où ils pourront rejoindre leur domicile et leurs proches. Du procès des deux époux à leur libération, en passant par l’enfance de leur progéniture en milieu urbain, tout se déroule dans l’indifférence générale, si bien que le dénouement ne crée ni émotion ni réconfort dans l’esprit du spectateur.
La cause de cet échec semble s’expliquer d’une manière évidente : habituellement inspiré par des événements de son histoire personnelle, notamment par son expérience de père de famille, Nichols brillait lorsqu’il nous contait ses angoisses et ses doutes, dissimulés savamment derrière ceux de ses personnages masculins. Ici, le cinéaste relate la vie de personnalités ayant réellement existé, qui plus est de façon anodine et sans y mettre beaucoup de cœur. Aussi, pour la première fois de sa carrière, Nichols dessine une figure paternelle particulièrement effacée. Les mains dans les poches, le visage fermé, visiblement résolu à abandonner la bataille dès le départ, le personnage de Richard Loving ne semble en effet déterminé qu’à vouloir laisser son double féminin se battre dans la solitude la plus totale, pour sauvegarder leur dignité de couple marié ainsi que son honneur de femme de couleur.
Dans un biopic plus politique que cinématographique, Jeff Nichols ne parvient pas à actualiser son propos et oublie surtout d’insuffler à son film une bonne dose de dramaturgie, pour se rapprocher d’une réalité dont il ne réussit nullement à cerner les enjeux. Accompagné par un Joel Edgerton renfrogné et une Ruth Negga qui minaude à chaque plan, le cinéaste américain, qui n’avait jusqu’à présent que des chefs d’œuvre à son actif, semble s’être laissé séduire par les abysses d’un cinéma hollywoodien consensuel. Avec ce premier faux pas – qu’on lui pardonne volontiers au vu de son parcours -, où ne suinte ni la passion ni la peur, Jeff Nichols prouve qu’une œuvre réussie ne peut voir le jour sans être habitée d’une âme véritable ou sans livrer ne serait-ce qu’un brin de sa propre personne.
Mmmm je dois dire que ce film me donne tout de même envie…
Lune
http://leslecturesdelune.blogspot.fr/
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Coucou Emilie ! J’ai vu le film hier c’est pour cela que je n’ai pas mis de commentaire tout de suite. Je ne voulais pas être influencé dans un sens ou dans un autre. J’ai aimé ce film, certes bien loin de ses meilleurs mais néanmoins je me suis laissé embarquer. J’ai trouvé les acteurs très bons. Oui c’est manichéen et M Loving semble subir plus que choisir mais je pense que Nichols a voulu nous montrer la vie simple de deux êtres qui s’aiment. La forme est discutable comme toujours mais je le crois sincère dans sa démarche et puis je l’avoue j’ai un petit faible pour ce genre en désuétude « le mélo hollywoodien ».. 😉 bien sûr je l’ai trouvé plus inspiré, ce « loving » est un film mineur dans sa filmographie mais ce type à un talent fou. En fait pour moi son film le plus faible c’est « Mud » et mes préférés « Take shelter et surtout « Midnight Specials ». Nichols me fais penser à Eastwood, je lui souhaite la même carrière. Toujours autant de plaisir à te lire, c’est chouette de voir combien un film peut ou pas nous émouvoir. Passe une belle soirée Emile ! à bientôt 🙂 🙂
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J’entends bien l’argument qui veut que Nichols ait voulu montrer la vie des Loving de la façon la plus fidèle et la plus simple possible, mais je trouve qu’ici, la vie manque cruellement de cinéma. Quand on raconte la vie de personnages ayant existé, il faut savoir fictionaliser un minimum, qu’on fasse un biopic ou un documentaire… C’est d’ailleurs pour ça que j’aime tant Asif Kapadia : dans ses documentaires sur Ayrton Senna et Amy Winehouse, il s’est montré capable de romancer leurs destins, quitte à trahir quelque peu et à arranger l’histoire originelle. Moi aussi je trouve que Mud est assez faible face aux chefs d’oeuvre que sont Midnight Special et surtout Take Shelter ! J’espère également que Nichols aura une carrière aussi fournie qu’Eastwood, c’est tout le mal que je lui souhaite ! 🙂 Bonne soirée Frédéric et à bientôt pour d’autres échanges cinématographiques ! 🙂
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C’est tout ce que je lui souhaite parce qu’Eastwood, je suis comme toi, j’adore ! Passe une belle journée Emilie ! toujours un plaisir d’échanger avec toi sur le cinéma qu’on aime tant ! 🙂
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Déception donc. A mes yeux, l’éclat de Jeff Nichols ne palit pas avec ce film. Sans jamais suivre le chemin tracé par le film précédent, il choisit là de s’attaquer à un sujet de société, un fait historique qui plus est, tout en sachant garder la bonne distance.
Il filme cette histoire à la juste hauteur, sans aucun pathos, centré sur les personnages plutôt que sur les arguties juridiques dans lesquelles ils sont entraînés. Et c’est très beau.
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Bon, bon, bon, après une telle chronique, on n’a pas trop envie de tenter l’aventure avec « Loving » ^^
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