Lors de son dernier passage à Cannes en 2017, le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho avait plutôt déchaîné les passions. Son film Okja, produit par Netflix, avait fait scandale sur la Croisette car il n’était pas destiné à être diffusé en salles mais sur les petits écrans du monde entier. Cela n’a pas empêché les membres du comité de sélection de choisir son nouveau film pour le propulser cette année parmi la compétition de la Sélection officielle. Bien leur en a pris, car Bong Joon-ho livre avec Parasite un brûlot politique essentiel, qui risque également de faire couler beaucoup d’encre, mais cette fois-ci pour de bonnes raisons.
Après Snowpiercer et Okja, deux fables écologiques plutôt engagées, Bong Joon-ho s’attaque désormais à la lutte des classes qui, aujourd’hui, règne encore de façon implacable en Corée du Sud. Avec une virtuosité incontestable, le cinéaste suit le parcours de la famille Kim : tous au chômage, vivotant plus ou moins joyeusement dans un taudis privé de wi-fi que les badauds viennent arroser régulièrement de leur urine, cette bande d’usurpateurs nés infiltrera sans vergogne le doux foyer d’une petite famille bourgeoise, dans l’espoir d’améliorer ses conditions de vie. La tendresse est instantanée pour ces individus sans le sou, qui se montrent toujours plus ingénieux dans leur façon de voler aux riches pour donner aux pauvres, en l’occurrence eux-mêmes.
Si Bong Joon-ho revient à l’épure après le grand-guignolesque d’Okja, son film n’en est pas pour autant dénué de génie. Grâce à une mise en scène des plus brillantes, dans laquelle les corps se livrent à un prodigieux ballet, le cinéaste maîtrise ses ambiances à la perfection, en prenant le temps de bien mettre en place les rouages d’une satire sociale à l’humour décapant, avant de basculer vers l’horreur la plus absolue. En jonglant ainsi d’un registre à l’autre avec une maestria toute naturelle, Bong Joon-ho crée une œuvre détonante, aussi bien sur le plan visuel et narratif, que dans son propos politique forcément fédérateur.
Dans cette farce cauchemardesque, Bong Joon-ho s’amuse à tourner en ridicule ses personnages, sans jamais tomber dans la facilité. L’ennui n’a jamais droit de cité dans ce long huis-clos savoureux de plus de deux heures quinze, où les riches ne sont que des petites natures qui idolâtrent leurs enfants jusqu’à l’absurde et où les pauvres se doivent de s’en sortir par eux-mêmes, quels que soient les moyens peu orthodoxes utilisés. L’on se demande alors qui sont les véritables parasites dans cette société polarisée, où les extrêmes ne peuvent cohabiter que dans l’hypocrisie, la violence et le mépris mutuel.
À l’instar de ses compatriotes Dernier train pour Busan, Tunnel et surtout Burning, présenté en Compétition officielle l’an passé, Parasite exorcise tous les démons de la Corée du Sud actuelle. Dans une scène extrêmement caustique, Bong Joon-ho se moque ouvertement du dictateur Kim Jong-un, comme pour mieux ombrager la menace que représente encore la Corée du Nord dans les esprits des sudistes. Enfin, après tant d’acidité et de radicalité, Bong Joon-ho nous enrobe dans une douceur inattendue : en donnant à son film des allures de drame humain, le cinéaste rend hommage de façon émouvante à ces êtres éternellement condamnés à vivre en marge, dans le sous-sol des élites. Si le jury souhaitait récompenser un film esthétiquement sans faille qui transpire de contemporanéité, Parasite, flamboyant symbole de son époque, était alors tout trouvé pour remporter la Palme d’or.
Très belle critique d’un film « Parasite » qui a tout pour me plaire ! Je vais d’ailleurs regarder prochainement un autre film d’un cinéastes sud coréen : « Burning ». On en reparlera c’est sûr. Passe une excellente soirée Émilie ! @très vite 😊
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Merci Frédéric ! Les avis sont unanimes, c’est assez rare pour le souligner ! En même temps, il n’y a pas grand-chose à reprocher au film ! J’avais vu Burning au cinéma et je m’étais beaucoup ennuyée. Il faut que je le revoie, car le propos politique est aussi puissant que dans Parasite, mais la forme est peut-être moins accessible. Tu m’en diras des nouvelles Frédéric ! À très bientôt et profite bien de ce long week-end ! 🙂
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Je te dirais ça Émilie avec plaisir, grand soleil ici en Bretagne, excellent weekend à toi, @très vite 😊
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Tout à fait, ce que l’on retient à la fin, derrière le caractère parfois « énorme » et métaphorique de la satire, c’est le drame humain qui se joue et qui rend l’épilogue très émouvant. J’en arrivais à la même conclusion dans ma chronique du film ici : https://newstrum.wordpress.com/2019/06/09/parasite-de-bong-joon-ho-discours-dans-un-souterrain/
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Merci pour ta critique, je me retrouve dans chaque argument ! C’est d’ailleurs ce côté humain qui l’empêche de tomber dans le grand-guignolesque, dans une satire stérile et ricanante. C’est inattendu et sublime à la fois !
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De rien, merci à toi ! Exactement. L’écueil de toute comédie noire qui repose sur un enchainement incontrôlable de situations, c’est le côté grand-guignol, et à chaque fois, Bong parvient à l’éviter, notamment grâce à ce bel épilogue.
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« Parasite » de Bong Joon Ho…
Jusqu’à présent, je n’avais vu que trois de ses films que j’avais adorés: « Memories of Murder », « The Host » et « Snowpiercer, le Transperceneige ».
Bon, « Parasite », chef-d’œuvre incontestable. Là, on peut dire que Almodovar, avec « Douleur et Gloire, petit chef-d’œuvre en son genre également, n’a pas eu de chance. Après avoir vu « Parasite », on se dit que le jury de Alejandro González Iñárritu ne pouvait faire autrement que d’octroyer la Palme d’or à Bong Joon Ho, tellement le film est maîtrisé à tous points de vue.
Je ne vous raconterai surtout pas l’histoire, sachez seulement qu’on est dans le monde de « Affreux, sales et méchants » à la sauce coréenne, du sud bien entendu, sachez enfin que les histoires de luttes des classes se terminent mal en général… A l’instar de la comédie italienne, le film est drôle, corrosif, vachard. On rit beaucoup comme avec les Pieds Nickelés, mais, en même temps, on retrouve le style allégorique de Bong Joon Ho. « Parasite » est un formidable thriller politique, qui vous laissera pantois. Tout est bon dans le film, il n’y a vraiment rien à jeter: le scénario est magistral, les plans sont superbes, la musique est parfaitement adaptée, les acteurs, parfaitement dirigés, sont excellents.
Le gros avantage de ce type de cinéma, c’est qu’il devrait rencontrer son public, aussi bien populaire que cinéphile, si tant est que l’opposition ait un sens…
Décidément Cannes 2019 est une excellente cuvée!
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