Mon été 2018 en séries

Regarder des séries pendant l’été, c’est le moyen parfait pour échapper aux plages envahies par les touristes et pour se préserver d’un soleil trop violent pour nos fragiles épidermes. C’est aussi et surtout l’occasion de retrouver des programmes que l’on connait bien, attendus impatiemment durant de longs mois, et d’en découvrir des inédits, qui feront peut-être partie de nos nouveaux incontournables. Cette année, des séries en tous genres se sont invitées dans la chaleur étouffante, ouvrant plus que jamais l’éventail des choix. Malheureusement, le vent de la nouveauté n’a pas été aussi rafraîchissant que nous l’aurions espéré : la plupart des premières saisons suscitant la déception, l’incompréhension, voire pire, la tiédeur, ce sont bel et bien les séries familières qui auront pleinement fait briller cet été 2018.


Celle qui a su révolutionner le petit écran en quelques épisodes seulement :

Killing Eve

En l’espace de deux ans, la créatrice britannique Phoebe Waller-Bridge s’est imposée comme une figure incontournable de la comédie télévisuelle. Crashing UK et Fleabag, ses deux séries modernes et féminines, n’ont pas manqué de revisiter le genre, notamment grâce à des héroïnes bien ancrées dans leur époque, à la fois sexuellement décomplexées, sentimentalement insatisfaites et profondément autodestructrices. C’est dans un registre totalement inattendu que Phoebe Waller-Bridge revient sur le devant de l’écran avec Killing Eve, une série d’espionnage où se mêlent thriller, humour noir et sensualité. En plus d’explorer à merveille la fascination réciproque d’Eve, une agent du MI6 bourreau de travail, et de Villanelle, une brillante psychopathe d’origine russe, la série inverse subtilement les rôles habituellement donnés aux hommes et aux femmes à la télévision ou au cinéma. Ici, les hommes, tous personnages secondaires, restent tranquillement à la maison, se font sauvagement assassiner et disparaissent peu à peu du tableau, tandis que les femmes prennent le pouvoir et s’acharnent à vouloir sauver le monde, ou bien à le détruire. Dans ce programme novateur aux dialogues savoureux et aux situations à la fois hilarantes et bourrées de suspense, Phoebe Waller-Bridge modifie en profondeur l’image des femmes dans les médias : avec Killing Eve, il s’agit bel et bien de supprimer toutes les idées passéistes encore présentes dans nos modes de représentation. Une bonne façon pour Phoebe Waller-Bridge, accompagnée de ses fabuleuses actrices Jodie Comer, Sandra Oh et Fiona Shaw, de redéfinir les lignes d’un monde nouveau, où oppression et stéréotypes ne font plus partie du vocabulaire.


Celle qui s’annonçait comme le phénomène de l’été, mais qui n’a pas été à la hauteur :

Sharp Objects

Après Gone Girl et Dark Places, tous deux adaptés au cinéma, l’auteure à succès Gillian Flynn voit enfin son tout premier roman porté à l’écran. Explorant le passé torturé de Camille Preaker, jeune journaliste venue enquêter dans sa ville natale sur les meurtres de deux petites filles, Sharp Objects avait tous les éléments pour devenir une grande série : une héroïne complexe et écorchée, entourée d’une mère toxique et d’une demi-sœur aussi paumée qu’elle ; un décor d’Amérique profonde animé par l’alcool, les ragots et l’ennui ; un regard acéré sur une société contemporaine où la violence s’invite insidieusement dans l’intimité de chaque foyer. De cet objet littéraire sombre et implacable, la créatrice Marti Noxon et le réalisateur Jean-Marc Vallée tirent huit épisodes qui ont bien du mal à convaincre. Sous couvert de mystère et de noirceur, la série se pare d’un montage épileptique rarement pertinent, d’une lenteur déconcertante pour développer ses personnages et d’une intrigue qui se dévoile un peu trop facilement, à tel point que le twist final n’a plus rien de surprenant. Si les actrices sont toutes exceptionnelles (Amy Adams, tout en dépression et en fragilité, face aux redoutables Patricia Clarkson et Elizabeth Perkins, ainsi que les deux jeunes révélations Eliza Scanlen et Sydney Sweeney), c’est malheureusement tout ce que l’on retiendra de cette adaptation surcotée, à laquelle on préférera amplement la force brute du roman d’origine.


Celle que l’on a bien fait de ne pas condamner après sa première saison :

GLOW

Malgré un sujet original, une reconstitution réussie des années 1980 et une intention louable de jouer sur les clichés raciaux et sexistes, GLOW, dans sa première saison, n’était pas parvenue à créer l’engouement attendu, faute à un manque d’émotion et un propos politique plutôt confus. Dans cette deuxième saison explosive, GLOW se montre plus que jamais consciente d’elle-même et corrige tous les défauts que l’on a pu lui reprocher : la série instaure une réelle émotion en explorant le côté maternel de Debbie et Tamee, ainsi que la vulnérabilité sentimentale de Bash ; la sexualisation des héroïnes se fait moins prégnante, tandis que leur parole trouve de plus en plus d’importance, notamment auprès de Sam Sylvia, le réalisateur misogyne du show ; surtout, le programme s’inscrit dans l’actualité en abordant de front la domination masculine dans la société du spectacle, à travers les mésaventures de Ruth avec le producteur, l’heure de diffusion du show menacée par un programme de catch masculin ou encore le conflit entre Carmen et son frère, qui se résoudra sur le ring de manière grandiose. En affirmant son féminisme et sa force de conviction, GLOW nous laisse espérer une troisième saison encore meilleure, toujours en prise avec les obstacles rencontrés par les femmes d’hier et d’aujourd’hui.


Celle qui a été critiquée à tort et à travers, mais qui n’a pourtant rien perdu de sa qualité :

The Handmaid’s Tale

Après une première saison portée aux nues par l’ensemble du public et de la critique, The Handmaid’s Tale connaît des temps plus houleux avec son deuxième volet. Fortement critiquée pour sa violence complaisante et son scénario qui semble tourner en rond, la série fait pourtant preuve de toujours autant de puissance, d’émotion et de beauté visuelle, sans jamais céder à la provocation. En explorant les vices comme les failles de l’effroyable République de Gilead, The Handmaid’s Tale nous réserve à nouveau quelques moments de grâce : la sublime séquence des prénoms, où chaque servante se réapproprie son identité ; la visite des Waterford au Canada et leur confrontation au monde « libre » ; les retrouvailles éphémères d’une mère et de son enfant, trop longtemps restées séparées. En plus d’introduire de nouveaux personnages complexes (la jeune Eden et le Commandant Lawrence en tête), la série n’oublie pas de faire évoluer ses protagonistes : June se raccroche à son instinct maternel pour assurer à son nouveau-né un avenir moins sombre que le sien ; Serena se montre plus que jamais tiraillée entre ses convictions religieuses, son désir d’enfant et son propre emprisonnement et révèle enfin toute son humanité lorsqu’elle prend conscience de l’horreur qu’elle a créée de ses mains ; quant à Nick, il ne cesse de se désolidariser de ce patriarcat auquel il refuse d’appartenir et rêve d’une vie qu’il sait pourtant impossible. Après un final à la fois rempli d’espoir et d’incertitude, les prochaines saisons devraient accumuler les rebondissements libérateurs pour mieux exposer les difficultés, à la fois physiques et psychologiques, d’un retour à la « vraie vie ».


Celle qu’on aurait voulu aimer de tout son cœur, mais qui ne parvient pas à convaincre :

Champions

Depuis le succès de sa série The Mindy Project, Mindy Kaling est sur tous les fronts : créature fantastique dans la grosse production Un Raccourci dans le temps, femme gangster dans le remake féminin d’Ocean’s Eleven, prochainement à la tête d’une adaptation de Quatre mariages et un enterrement, l’actrice-créatrice est également repassée par la case télévision. Dans Champions, Mindy Kaling met en scène la vie quotidienne de Vince, un athlète volage et superficiel, qui devra prendre en charge son fils caché Michael, désireux de faire carrière dans la musique. En plus de faire appel à des acteurs médiocres (l’insupportable Anders Holm et le jeune J.J. Totah, toujours dans l’excès), la série ne parvient ni à faire rire ni à instaurer une quelconque empathie pour ses personnages. Pire, Mindy Kaling semble nous dire, à travers cette histoire un peu convenue, qu’une femme célibataire serait incapable d’élever un enfant correctement et aurait forcément besoin d’une présence masculine pour réussir son éducation. Un propos inattendu de la part de celle qui ne cesse de revendiquer son féminisme et qui a su revisiter avec modernité les clichés des comédies romantiques les plus célèbres. L’annulation (à juste titre) de Champions par la chaîne NBC devrait alors permettre à Mindy Kaling de retrouver le droit chemin et de se concentrer à l’avenir sur des programmes de meilleure qualité.


Celle qui nous a dit au revoir pour toujours :

Sense8

En 2017, Netflix décide d’annuler Sense8 à cause d’un budget trop conséquent, dû notamment aux nombreux lieux de tournage de la série. L’annonce crée la fureur des fans sur les réseaux sociaux, à tel point que la plateforme de vidéo en ligne se voit alors forcée d’accorder un dernier épisode à la série, que la créatrice Lana Wachowski transformera en un long film de plus de deux heures. Dans cet adieu déchirant, tout en feux d’artifice et en déclarations d’amour, Sense8 reste égale à elle-même : emplie de maladresses, parfois tapageuse, la série de Lana Wachowski n’en reste pas moins incroyablement belle, vectrice de partage, d’humanisme et de tolérance. Loin d’être parfaite, laissant parfois quelques personnages sur le bas-côté, cette conclusion où l’action embrasse l’émotion atteint pourtant des sommets de bienveillance, en nous persuadant que la solidarité, l’amour et l’amitié sont les meilleures armes pour combattre le mal qui ronge nos sociétés. En nous permettant de dire au revoir à ses personnages – des êtres forts et fragiles à la fois qui nous ressemblent bien plus qu’on ne le croit – et en nous offrant un dernier regard sur un monde idéal où chacun peut vivre en harmonie avec son prochain, Lana Wachowski n’oublie pas de rappeler à quel point sa série, au sein d’une époque troublée telle que la nôtre, est et restera un objet indispensable pour les générations actuelles et à venir.


Celle qu’on ne sait pas trop où elle nous emmène, mais qu’on prend quand même plaisir à suivre :

Disenchantment

Après Les Simpson et Futurama, le créateur de séries d’animation Matt Groening nous embarque dans l’univers de Disenchantment, une parodie de conte de fées à la fois bienveillante et décalée. Ici, les elfes sont dépressifs, le roi est un tyran et les histoires d’amour ne durent pas jusqu’à la fin des temps. À travers les mésaventures de Bean, une jeune princesse bien décidée à rejeter en bloc les idées patriarcales de son père, Groening entend dresser le portrait d’une Amérique encore trop confortablement installée dans un mode de pensée sexiste et puritain. Si l’église et le pouvoir en prennent largement pour leur grade dans cette joyeuse comédie, la magie n’opère qu’à moitié : à la fin des dix premiers épisodes, on se demande encore où Matt Groening veut en venir, tant l’intrigue semble décousue et tant le propos politique se montre encore trop timide pour réellement faire mouche. Heureusement, le créateur américain n’a pas son pareil pour instaurer un humour bon enfant, une esthétique visuelle très réussie et surtout des personnages hyper-attachants – Bean, la princesse alcoolique loin des clichés romantiques, Luci, le diablotin aux airs félins et l’irrésistible Elfo, un lutin désespéré de vivre dans un bonheur constant, entre chansons niaises et bonbons acidulés. En attendant la suite de Disenchantment, espérons que les dix prochains épisodes nous emmèneront dans un Dreamland plus subversif, où corrosion et modernité pourront allègrement servir un propos lucide sur notre société, pour le meilleur et pour le rire.

7 réflexions sur « Mon été 2018 en séries »

  1. Quel bel article ! Je viens de terminer Sense 8 deuxième saison et qu’ajouter de plus à ce que tu as si justement écrit : j’ai adoré !! Oui il y a des maladresses mais que le message délivré est beau ! c’est ma série préférée vu sur Netflix. Je donnerais tout pour une saison 3 mais bon l’épisode final de 2h30 clôt d’une jolie façon cette magnifique série 🙂 excellent weekend chère Emilie 🙂

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    1. Merci Frédéric ! Oui très triste pour Sense8. Pour se rassurer, il faut se dire qu’avec une saison supplémentaire, la qualité aurait pu baisser et on aurait fini par se lasser. Elle restera pour nous une série inoubliable, et c’est tout ce qui compte ! 🙂 Je te conseille vivement de te plonger dans The Handmaid’s Tale, c’est également une très belle série, sûrement la plus puissante encore en cours de diffusion. Je ne sais pas si elle passe sur Netflix par contre… Bonne journée Frédéric, et à très bientôt ! 🙂

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  2. « Killing Eve », je ne connaissais pas. Merci du conseil et de la découverte. Quant à « the Handmaid’s tail », j’attends encore le moment propice pour m’y coller.
    Désenchantée par « Disenchantment » ? Je vais donc attendre un peu avant de m’y mettre.
    Ma série de l’été s’est limitée au western « Godless » qui fait la part belle aux dames de l’Ouest.

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  3. J’ai pas accroché à Sense8, j’ai pas voulu m’attarder sur la saison 2…

    Je viens de finir la saison 1 de Glow, elle est plutôt inégale mais sympathique. Du coup, vu ton avis, curieuse de voir la saison 2 très vite !

    (trois mariages et un enterrement ?)

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    1. J’ai vraiment hésité à continuer GLOW et finalement je ne le regrette pas. La saison 2 est bien plus engagée et très touchante.

      Oups ! Je voulais évidemment parler de Quatre mariages et un enterrement. Je ne devais pas être très réveillée ce jour-là…

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