Duel au soleil
Au milieu des productions hollywoodiennes qui se suivent et se ressemblent, il est parfois bon de s’accorder une pause. Pour cela, rien de mieux que de s’enivrer des effluves du cinéma asiatique : films d’animation, cinéma de genre et films d’auteur reposants parviennent à se frayer un chemin jusque dans nos salles occidentales pour nous offrir une respiration bien méritée. Parmi les cinéastes asiatiques que l’on se plait à suivre au fil des films, Naomi Kawase est sûrement celle dont la délicatesse et la poésie sont les plus aptes à nous captiver. Ses précédents films, La Forêt de Mogari, Les Délices de Tokyo et le sublime Still the Water, exploraient les secrets de la culture japonaise et révélaient, à travers le prisme méconnu de l’animisme, la beauté pure et simple de la famille et de l’amour, de la vie et de la mort. Sa nouvelle oeuvre Vers la lumière, présentée au dernier Festival de Cannes et apparemment empreinte d’une merveilleuse sensibilité, nous laissait alors présager du meilleur.
Sur le papier, Vers la lumière nous promettait une belle histoire d’amour entre deux handicapés de la vie – une jeune audio-descriptrice hantée par l’absence de son père et un photographe professionnel dont la vue se détériore progressivement -, traversée par des moments de grâce et des envolées lyriques sur la perte des sens et sur le retour à la vie par le pouvoir de la sensualité. Malheureusement, nos espoirs sont rapidement déçus face à cette oeuvre qui ne parvient jamais à choisir entre romantisme et mièvrerie, entre hommage au cinéma et lourdeur narrative. Dès les premières minutes du film, nous rencontrons Misako, décrivant sa vie comme elle le fait dans son travail : de l’agitation urbaine au portefeuille de son père, tout passe au crible de cette jeune femme habituée à qualifier les choses par la parole. Cependant, sa voix-off finalement envahissante empêche l’émotion de naître par ce qui fait généralement la beauté du cinéma : l’évocation par l’image.
Entre le propos de son film, qui entend réconcilier description verbale et image animée, et ce qu’elle applique réellement à la forme de son oeuvre, Kawase fait un grand écart et finit par contredire ses propres intentions. Par des gros plans étouffants, sans jamais prendre le temps de poser sa caméra agitée, la cinéaste empêche considérablement ses images de respirer et enferme ses personnages dans un monde sans arrière-plan. Malgré une volonté honorable de démocratiser les écueils rencontrés par les malvoyants face au cinéma, qu’elle exprime dans quelques scènes passionnantes qui nous laissent entrevoir la difficulté de raconter le cinéma avec des mots (n’est-ce pas aussi le travail du critique ?), la partie plus sentimentale du film vient gâcher considérablement les efforts de la réalisatrice. Par un trop-plein de sentimentalisme et une poignée de facilités scénaristiques, Vers la lumière échoue à créer une histoire d’amour crédible et, dans un dénouement qui tombe totalement à plat, finit même par devenir une romance programmatique aux allures hollywoodiennes.
Moins rural et beaucoup moins spontané que les précédentes œuvres de Kawase, Vers la lumière rompt avec le charme naturaliste de son cinéma, dans lequel les passions et les angoisses humaines évoluaient habituellement au rythme de la houle de l’océan et du bruissement des arbres. Ici, la lumière du soleil, qu’elle envahisse l’appartement du photographe Nakamori, qu’elle soit admirée depuis le sommet d’une colline ou qu’elle inonde la dernière scène d’un film de cinéma, ne réussit jamais à nous faire ressentir la force de la nature qui illuminait si bien Still the Water et enrobait les existences d’un symbolisme aérien et harmonieux. Plutôt que la beauté même du monde, Kawase tente de capter le regard de ses personnages sur cette nature absente et invisible, pourtant essentielle dans le cheminement psychologique et amoureux de ces deux êtres confrontés à la disparition de leurs univers.
Malgré une très belle musique signée Ibrahim Maalouf et le plaisir de retrouver Masatoshi Nagase – que l’on avait déjà apprécié pour son rôle de marginal dans Les Délices de Tokyo et son apparition bienveillante dans Paterson de Jim Jarmusch -, Vers la lumière reste un poème visuel manqué emprisonné par sa propre joliesse. Pour la première fois depuis le début de sa carrière, Naomi Kawase nous confronte à des sentiments encore jamais croisés dans son cinéma : l’ennui, face à cette histoire qui manque cruellement d’âme ; l’incompréhension, devant une candeur nouvelle qu’on ne lui connaissait pas ; la déception enfin, car il est triste de voir cette cinéaste humaniste au style gracieux se livrer corps et âme à un mélodrame sirupeux et larmoyant tel que celui-ci. En attendant d’être à nouveau éblouis par les merveilles que le cinéma asiatique a à nous offrir, espérons que Naomi Kawase retrouve rapidement le chemin de l’inspiration pour que son prochain film baigne à nouveau dans une bucolique mélancolie.
Naomi Kawase.. Tu me fais découvrir cette cinéaste. Merci pour ce beau partage Emilie. Je ne commencerais donc pas par ce film pour découvrir son univers que tu apprécies beaucoup par ailleurs. Tu sais, je pense à Malick. J’adorais son cinéma.. mais depuis trois films, je trouve qu’il a perdu la grâce qui habitait ses films. Espérons pour Kawase que cela ne soit qu’une transition vers des films encore meilleurs ! Je te souhaite un excellent weekend ! ton billet est comme toujours d’une très grande qualité. Au plaisir de te lire encore longtemps 🙂 🙂
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J’aime vraiment beaucoup cette cinéaste, je suis très triste que ce film-là ne soit pas réussi. Si tu souhaites découvrir son univers, je te conseille de commencer par Les Délices de Tokyo, c’est une très bonne entrée en matière. Le film n’est pas exempt de défauts mais il m’a énormément touchée. Ensuite, l’incontournable, c’est Still the Water. Un chef d’oeuvre de zénitude, un regard reposant et éclairant sur l’éternel recommencement des choses, sur le cycle de la vie et de la mort. Il n’a pas plu à tout le monde car il est très lent et contemplatif. Moi, il m’a bouleversée et il fait aujourd’hui partie de mes préférés.
Tu as raison pour Malick… C’est toujours triste de voir de grands cinéastes que l’on aime de tout son cœur perdre un peu de leur magie.
Merci pour ton gentil commentaire Frédéric, ça fait toujours plaisir ! Un excellent week-end à toi aussi et à très bientôt ! 🙂
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Merci pour ces précieux conseils Emilie. « Les délices de Tokyo » et surtout « Still the water » devraient me plaire. Excellent weekend à toi @très vite 🙂
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PAs encore faire ma review… j’ai eu du mal… certaines scènes avec la caméra épaule qui tremblent me mettaient mal à l’aise…
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Miracle à Saint-Brieuc. Coup sur coup, deux films arrivent dans nos lointaines contrées, que nous n’attendions plus depuis longtemps. Il y a quelques semaines, voire quelques mois, nous avions vu les bandes-annonces, mais, depuis, plus rien. Alors? Remords d’un programmateur, raisons financières? Je ne sais … Toujours est-il qu’après « Belgica », somptueux, voici que nous arrive « Les Délices de Tokyo » tout aussi somptueux, mais dans un autre genre…
« Les Délices de Tokyo », de Naomi Kawase, est un film magnifique, une jolie fable philosophique. Ce type de films nous fait penser au cinéma de Ozu, non pas forcément dans la manière de filmer, mais dans le rythme, très lent, qui installe les décors, les personnages et l’action. Cette lenteur est totalement indispensable au propos.
Fable philosophique sans aucun doute, dans la mesure où une vieille dame de 76 ans, Tokue, va transmettre à Sentaro, le vendeur de dorayakis, des pâtisseries traditionnelles japonaises qui se composent de deux pancakes fourrés de pâte de haricots rouges confits, « AN », l’art et la manière de les fabriquer. Elle se fait embaucher et la boutique connaît un succès retentissant grâce à la qualité des gâteaux. Tout Le début du film est drôle, l’humour dans les relations entre Sentaro et la vieille femme iconoclaste accentuant le contraste entre les deux personnages.
Mais, très vite, au travers de cette histoire toute simple, on s’aperçoit que le film aborde les problèmes essentiels de la vie: le sens de l’existence, le bonheur, l’amitié, le temps qui passe, la mort enfin. Le film est superbe, la nature éclaboussant en permanence les plans, les cerisiers et leurs magnifiques fleurs blanches, la lune, le soleil, la lumière, nature qui est réellement un personnage du film. Les quelques personnages, interprétés par des acteurs brillants, sont beaux, physiquement comme moralement, intelligents, sensibles, d’une très grande gentillesse.
Le film fonctionne sur la douceur, la poésie, la beauté des relations humaines et, naturellement, sur l’émotion, sans jamais tomber dans la mièvrerie.
Au total, un grand film, aussi original qu’important par les thèmes abordés, du cinéma qui réconcilie avec l’humanité.
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Pas vraiment aimé…. trop particulier
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