Pour entamer ce top cinéma, soyons d’emblée lucides : au regard des merveilles découvertes l’an passé – les effluves de Midnight Special, Paterson et The Neon Demon ne s’étant pas encore dissipés -, 2017 fut une année bien terne. Entre grosses productions hollywoodiennes totalement dénuées d’intérêt, comédies françaises à la pelle emplies d’idioties mais vides de toute idée de cinéma et films d’animation en perdition commerciale, les sorties de cette année n’ont brillé ni par leur originalité, ni par leur inventivité. Heureusement, quelques cinéastes persistent à imposer leur vision d’un monde en mal de repères, où les êtres humains, malgré leurs rêves, leur bonne volonté et leurs idéaux, se heurtent à un mur de barbarie ou d’injustice, sur lequel périt à petit feu la possibilité d’un accomplissement personnel salvateur. Tournés vers un passé désuet ou étincelant, les films de ce top se révèlent hantés par un héritage cinématographique, historique ou familial, qu’il s’agit de se remémorer pour mieux appréhender les écueils du temps présent et réinventer les lignes d’un horizon futur.
Un chef-d’oeuvre où valsent allègrement classicisme et modernité :
La La Land, de Damien Chazelle : Troisième long-métrage de Damien Chazelle après le méconnu Guy and Madeline on a Park Bench et le dynamique Whiplash, La La Land est non seulement le plus beau film de cette année, mais il est aussi l’un des plus aboutis de la décennie. Par ses chansons entêtantes, ses décors majestueux et son histoire d’amour empreinte de franche modernité, La La Land réinvente le genre de la comédie musicale avec une fougue communicative et une intelligence rare. En nous plongeant dans les espoirs déçus de deux artistes en devenir, La La Land oscille entre la douceur des rêves et l’âpreté de la vie réelle, où romance et ambition professionnelle ne font pas forcément bon ménage. Véritable vertige entre les grands films euphoriques de l’âge d’or hollywoodien, le réalisme enchanté de Jacques Demy et la romance contemporaine, faite de compromis et de renoncements, le film adopte un ton onirique sans jamais laisser s’installer, dans un final absolument sublime, l’amertume ou la désillusion. Après ce ballet esthétique et émotionnel qui a fait battre nos cœurs dès ce début d’année, difficile de tomber amoureux d’un autre film de façon aussi pleine et entière.
♫ La La Land – Bande originale complète ♫
Deux regards européens sur l’homme contemporain :
The Square, de Ruben Östlund : Après Snow Therapy, où il décortiquait déjà la lâcheté d’un père de famille et les problèmes de représentation véhiculés par le cinéma, le suédois Ruben Östlund crée le débat avec The Square, en analysant en profondeur les failles de l’homme moderne et en poussant le spectateur dans ses retranchements moraux. Tel le miroir de notre société contemporaine, le film fustige la couardise et l’animosité qui se terrent en chacun de nous et interroge surtout notre incapacité à lier nos actes à nos principes humanistes. Sûrement la plus belle Palme d’or de ces dix dernières années, The Square est non seulement une critique sociale tantôt hilarante tantôt tragique qui manie parfaitement l’art du malaise, mais le film se pose également en réaction à un cinéma classique hollywoodien encore engoncé dans un manichéisme stérile, où l’on croit encore que l’homme, aux yeux des femmes et des enfants, ne peut être qu’un super-héros.
Corps et âme, d’Ildiko Enyedi : Ours d’or au dernier festival de Berlin, Corps et âme est une oeuvre unique, où poésie et réalisme se marient pour mieux sonder les mystères de l’esprit humain. Dans ce film envoûtant et sensoriel, la cinéaste hongroise Ildiko Enyedi explore le subconscient de ses protagonistes, deux handicapés de la vie qui ne savent plus comment aimer. Lui, directeur d’un abattoir, a le bras gauche paralysé après un mystérieux accident. Elle, nouvelle contrôleuse qualité de l’établissement, avec son hypermnésie, son laconisme et son comportement enfantin à la limite de l’autisme, est sûrement l’une des figures féminines les plus touchantes que le cinéma ait porté. À travers les songes de ces humains qui se rêvent animaux, Corps et âme nous dit, aussi bien par l’onirisme et l’humour que par la brutalité du réel, combien il est difficile de se rencontrer et de communiquer dans notre monde actuel. Au milieu du sang et de la chair, le film réinvente le principe de séduction et invite à la connexion des âmes pour réapprendre à s’apprivoiser.
♫ Laura Marling – What he wrote ♫
Deux réactions américaines à un Hollywood qui ne jure que par le bruit et la fureur :
Silence, de Martin Scorsese : Enfant du Nouvel Hollywood, Martin Scorsese n’a eu de cesse de porter un regard novateur sur le cinéma américain, pour le transformer en profondeur et le moderniser de l’intérieur. Déjà, dans New York New York, le cinéaste disait l’impossible conciliation entre le faste de l’âge d’or hollywoodien et la brutalité du cinéma des années 1970, dans lequel la violence – politique, sociale, sexuelle – éclatait au grand jour. Témoin d’un cinéma qui sombre aujourd’hui dans la surenchère visuelle et le tapage sonore, Scorsese nous offre avec Silence un voyage spirituel aride, où foi authentique et démonstrations outrancières de croyance s’entremêlent pour mieux redéfinir la notion de sacrifice. Après le tumultueux Loup de Wall Street, Silence, dénué de musique, connecté à la beauté de la nature, lent et austère, est une invitation à la contemplation et à la méditation, qui redonne foi en Scorsese et dans le cinéma.
The Lost City of Z, de James Gray : À l’instar de Silence, The Lost City of Z est un film qui se mérite. Anti-spectaculaire, d’une lenteur parfois déconcertante, traitant d’un sujet qu’il faut laisser infuser pour mieux l’apprécier, The Lost City of Z explore le destin d’un homme obstiné, qui anéantira sa vie privée pour prouver l’existence d’une cité perdue d’Amazonie. Dans cette oeuvre d’un néoclassicisme foudroyant et d’une beauté inoubliable, James Gray redéfinit les codes du film d’aventure en évinçant au maximum toute once d’action et en plongeant magnifiquement dans la psyché torturée de son protagoniste. Dans la jungle d’une société britannique soi-disant évoluée, qui enferme ses citoyens dans des carcans élitistes ou sexistes, l’odyssée de l’explorateur Percy Fawcett nous dévoile l’espoir d’un monde reculé bien plus civilisé que le nôtre, et la survivance d’un cinéma qui n’a pas fini de nous conter, à hauteur d’homme, des histoires extraordinaires.
♫ Maurice Ravel – Lever du jour ♫
Trois films sur la vie après la mort, pour ne pas oublier d’où l’on vient :
Coco, de Lee Unkrich et Adrian Molina : Dernier-né des studios Pixar, Coco nous fait voyager au Mexique, le jour de la fête des morts, pour célébrer dans la joie et la bonne humeur ceux qui sont partis. Par un visuel lumineux, une inventivité de tous les instants, un humour revigorant et une bande musicale entraînante, le film n’oublie pas de miser sur la critique sociale et l’émotion, pour nous rappeler l’existence des grands oubliés de ce monde – miséreux des bas quartiers, artistes restés dans l’ombre et ancêtres dont le souvenir, évanescent, s’efface peu à peu. En prônant avec poésie l’importance du lien familial, la valeur de la transmission et l’immortalisation des souvenirs par le simple pouvoir de la parole, Coco, dans un voyage divin qui magnifie aussi bien la mort que la vie elle-même, revendique fièrement son identité pixarienne et glorifie la puissance évocatrice des histoires, au cinéma comme dans la vie.
Carré 35, d’Eric Caravaca : Pour son premier documentaire, l’acteur-cinéaste Eric Caravaca plonge au cœur d’un souvenir de famille douloureux et enfoui, celui du décès de sa sœur aînée, qu’il n’a jamais connue et dont ses parents ne lui ont jamais parlé. Tel un enquêteur aguerri à la recherche d’une photographie manquante, Caravaca retrace, à travers les témoignages de ses proches, des films familiaux tournés en Super 8 et des images d’archives historiques, le parcours de ce fantôme oublié qu’il s’agit de ressusciter dans l’esprit des vivants. Avec une douceur infinie, beaucoup de pudeur et une émotion qui finit par tout emporter, Carré 35, sur fond de colonisation, explore les différentes étapes du déni, de la révélation et de la commémoration, pour mieux faire remonter à la surface les secrets de l’intime et les névroses dissimulées, par la renaissance éphémère et lumineuse qu’offre l’image de cinéma.
A Ghost Story, de David Lowery : Après Peter et Elliott le dragon, David Lowery revient au cinéma indépendant avec un film pour le moins singulier. De façon extrêmement minimaliste, A Ghost Story met en scène la mort d’un homme sans nom, qui revient hanter la maison rurale où sa compagne et lui avaient élu domicile. Recouvert d’un simple drap, ses yeux vides inspirant une tristesse infinie, Casey Affleck incarne à merveille ce personnage errant dans les limbes de l’oubli, à la recherche d’un souvenir qui lui permettra d’accéder à l’au-delà. Dans ce voyage à travers les âges, Lowery nous offre des plans d’une longueur palpable et d’une beauté sacrée, où la poésie et la mélancolie jaillissent du passage du temps, tantôt interminable, tantôt éphémère. En parvenant à nous faire ressentir la solitude de la mort et la puissance de la réminiscence, A Ghost Story est une expérience sensorielle et méditative unique, qui célèbre avec douceur et lucidité le non-événement qu’est l’existence.
♫ Dark Rooms – I Get Overwhelmed ♫
Deux films sur la vie avant la mort, pour ne pas oublier où l’on va :
Dans un recoin de ce monde, de Sunao Katabuchi : Après avoir dépeint le Japon de l’après-guerre dans Mai Mai Miracle, Sunao Katabuchi plonge ici avec une délicatesse rare dans l’époque troublée de l’avant Hiroshima. Complètement dénué des poncifs inhérents aux films de guerre, Dans un recoin de ce monde s’intéresse aux civils, tristes victimes sans défense d’un conflit aussi barbare qu’inhumain. Porté par la poésie des dessins de son héroïne, par des touches d’expérimental pour illustrer l’impensable et par le réalisme de son contexte, le film suit le destin de la jeune Suzu, pour mieux sublimer le combat quotidien et éreintant des femmes restées au foyer. Tout en dessinant l’horizon de l’animation japonaise de demain, déjà hantée par la rémanence, Sunao Katabuchi nous invite dans un murmure à préserver notre bonheur comme un trésor, puisque celui-ci, volatile et fugitif, peut disparaître à tout instant.
Lucky, de John Carroll Lynch : À 91 ans, Harry Dean Stanton a rejoint son paradis perdu, celui-là même qu’il s’évertuait à trouver dans Paris, Texas, le film qui l’a sublimé aux yeux du monde. Avant de nous quitter pour d’autres horizons, l’acteur a bien voulu nous offrir une dernière danse, déambulant dans la chaleur du désert américain, entre banalité solaire et quotidien crépusculaire. Dans la peau de Lucky, un vieil homme qui se sait condamné mais qui se montre encore et toujours habité par la vie, le comédien traverse des questionnements philosophiques, aussi bien sur son existence bientôt révolue que sur sa place de doyen dans une société contemporaine dans laquelle il ne se reconnait plus. Mêlant fiction et biographie, humour et émotion, fascination et lenteur, Lucky vaut surtout pour son adieu à Harry Dean Stanton, immense symbole d’une Amérique reculée, ultime survivant d’un cinéma classique qui meurt avec lui, acteur éternel qui viendra encore longtemps marcher dans nos rêves.
Coucou ! Le James Gray était très beau c’est vrai. Il aurait pu figurer dans mon top. « A ghost story » me tente beaucoup tout comme « the square » et « corps et âme ». Tu as fais là une très jolie note bilan. Coco était une petite merveille aussi. Mais je te rejoins dans le fait que ce cru 2017 est clairement en dessous de celui de 2016.. croisons les doigts pour 2018 😉 Belle semaine à toi Emilie ! @très vite 🙂 🙂
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