Dans le paysage impitoyable de la télévision, la série The Mindy Project est une véritable survivante. Après une annulation par la chaîne Fox en 2015 malgré une réussite publique et critique, le programme a su rebondir, au grand soulagement de ses fans, en collaborant avec la plateforme de vidéo en ligne Hulu. Aujourd’hui, après cinq saisons rondement menées, la comédie romantique créée par Mindy Kaling a même le privilège rare de conclure son histoire comme elle l’entend, et de dire au revoir à ses personnages de la plus digne des manières. Contrairement à de nombreux programmes qui ont perdu de leur saveur à force de s’étirer en longueur sur des dizaines de saisons, la série évite soigneusement ce chemin qui lui aurait clairement desservi et préfère suivre la voie de la qualité, dans une conclusion en dix petits épisodes où son essence romantique ponctuée de réalisme prend alors tout son sens.
Au début de cette dernière saison, notre héroïne aux idéaux chimériques réalise son rêve ultime : le mariage. Biberonnée aux comédies romantiques depuis sa plus tendre enfance, Mindy prend soudainement conscience que la réalité n’est pas à la hauteur de ses attentes. Son histoire d’amour avec Ben l’indiffère tellement que la jeune femme se réfugie dans son travail ou dans ses relations amicales, à tel point que, après une thérapie conjugale désastreuse, le couple finit par divorcer. Ce qui plait en réalité à Mindy, ce n’est pas le mariage, avec tout ce qu’il comporte de compromis et de sacrifices, mais l’idée même du mariage, biaisée par une représentation idyllique tout droit sortie de ses films à l’eau de rose préférés. Une sentence exploitée avec beaucoup d’humour dans l’épisode 7, quand une apparition de Reese Witherspoon en personne vient rappeler à Mindy de dures vérités : les films sont un tissu de mensonges, la vie ne se termine pas toujours bien et le but de l’existence n’est pas de trouver un homme, mais de se trouver soi-même. Dès les premiers souffles de cette sixième saison, et tout au long de ses épisodes, la série continue de porter un regard lucide sur les fantasmes romantiques de sa protagoniste et sur les limites de son propre genre.
Pourtant, la série semble vouloir offrir à tous ses personnages, notamment secondaires, une fin heureuse, pour combler les attentes des spectateurs mais aussi pour remplir le cahier des charges de cette joyeuse comédie. L’arrogant Jody ravale sa fierté de mâle dominant et part à l’étranger pour une mission humanitaire avec l’élue de son cœur ; Beverly, jusqu’ici presque inexistante sur le plan scénaristique, rencontre le fils qu’elle a abandonné trente ans auparavant ; Jeremy coule des jours heureux avec Anna, la nouvelle doctoresse du cabinet, aussi précieuse et sophistiquée que lui ; Tamra, plus touchante qu’à l’accoutumée, réalise son souhait de devenir mère ; quant à Morgan, c’est son mariage qui clôturera cette ultime saison, marquant enfin l’émancipation amoureuse de ce grand enfant et éternel ami fidèle. Ce déferlement d’amour et de bienveillance sert surtout à souligner que seul le « happy-ending » de Mindy, pourtant le plus attendu, tarde à se concrétiser. Peut-être a-t-il déjà eu lieu et que celui-ci réside ailleurs que dans une résolution romantique, puisque la jeune femme se montre comblée par son fils Leo, ses amis et ses accomplissements professionnels.
Cependant, il ne faut pas oublier que la série est bel et bien une comédie romantique et qu’elle ne saurait se terminer, pour sa protagoniste, sans une bonne dose de sentiments. Alors que Mindy clame qu’elle a perdu foi en l’amour et qu’elle recroise une grande partie de ses ex, Danny, lui aussi en plein divorce, refait surface. Le final de la série scelle alors leur réunion, mais pas de n’importe quelle façon. En reprenant la structure du pilote (le discours, non plus au mariage d’un ex, mais de Morgan, littéralement le seul homme de Manhattan avec qui Mindy n’a jamais eu d’aventure, la fuite en bicyclette, le plongeon dans la piscine évité de justesse et la musique galvanisante), l’épisode montre l’évolution effective de l’héroïne depuis le tout début de la série. Dans un élan digne des plus grandes romances, Mindy est frappée d’une évidence et s’en va rejoindre son ex-fiancé, mais sa course éperdue n’a pas l’effet escompté, Danny ne comprenant pas l’ampleur de son geste. Lorsqu’enfin Danny retrouve Mindy – qui a le bras coincé dans un distributeur d’encas, n’est-ce pas romantique ? – pour lui révéler son amour, les sujets sensibles qui ont fait les mauvais jours du couple ressurgissent. Dans cette dernière scène, qui a pourtant comblé notre envie irrépressible de voir ces deux tourtereaux s’aimer à nouveau, le romantisme laisse place au réalisme en nous rappelant sans concession qu’après le « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », la vie continue, avec tout son lot de disputes et de renoncements. Une fin ouverte et sublime où, alors que la caméra nous autorise un dernier regard doux-amer sur ce couple fraîchement réuni et que retentissent les notes de la magnifique reprise de I’m on Fire par le groupe lynchien Chromatics, se cristallisent toutes les intentions de la série de déconstruire notre conception illusoire du romantisme.
Durant six saisons, The Mindy Project nous aura offert de nombreux fous rires, une ribambelle de personnages attachants et nous aura appris qu’il est tout à fait possible d’être excentrique dans sa façon de s’habiller, bavarde quitte à couper la parole à tout le monde, égoïste en amour comme en amitié, révulsée à l’idée de faire cinq minutes de sport et gourmande au point de manger une pizza pour le goûter tout en étant quand même féminine. Surtout, avec son héroïne aux antipodes des modèles de beauté, quelques discours politisés et son ambiance toujours truculente, la série aura marqué les esprits par sa vision originale et incroyablement moderne de la comédie romantique, en réinventant en profondeur les clichés sentimentaux qui sont ancrés en nous. En attendant de recroiser Mindy Kaling dans d’autres « Mindy projects » – l’actrice-créatrice est déjà sur tous les fronts puisqu’on la retrouvera à la tête d’une adaptation télévisée de Quatre mariages et un enterrement, dans le rôle d’un être surnaturel dans la grosse production Disney Un raccourci dans le temps et dans Champions, sa propre série apparemment plus masculine diffusée sur NBC -, nous reverrons en boucle et avec émotion les tribulations amoureuses de Mindy Lahiri, dans ce qui est devenu en six ans l’une des plus belles comédies et l’une des plus belles romances de la télévision américaine.