Conscience contre violence
Merlin l’Enchanteur ne porte a priori pas très bien son nom. Après avoir connu une production difficile au début des années 1960, le film fut désavoué par la critique, qui jugeait que les trop nombreux gags et le manque d’émotion desservaient l’image romantique de Disney. Quant à la génération Y, biberonnée aux drames animaliers comme Le Roi Lion, Bambi et Dumbo, et aux films de princesse tels que Cendrillon, Blanche-Neige ou encore La Belle et la Bête, elle n’a pas manqué de considérer le film comme contraire à l’idéologie du studio, qui entend faire rêver son (jeune) spectateur par la romance et la cohésion familiale. Si Merlin l’Enchanteur n’a pas réussi à convaincre le public toutes époques confondues, le magicien à la longue barbe, en compagnie de son hibou grincheux Archimède, se montrait pourtant bien plus passionnant que certains de ses congénères depuis longtemps passés à la postérité.
Proche de la veine artistique et littéraire déjà croisée dans Alice au pays des merveilles, Peter Pan et Pinocchio, Merlin l’Enchanteur se démarque du modèle disneyien par son contexte historique sombre et son refus d’enjoliver son récit pour le rendre plus acceptable aux yeux du public enfantin. Le film nous plonge dans l’Angleterre du Moyen-Âge, où tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes : après la mort de son roi sans héritier, le pays sombre dans l’obscurantisme et la violence. La loi du plus fort règne au royaume des hommes, et tous se succèdent pour tenter d’accéder au trône par la force, en essayant d’extraire Excalibur de son enclume magique. Devant cette ribambelle de brutes qui roulent des mécaniques pour prouver leur puissance, le divin Merlin choisit le jeune Arthur, un véritable anti-héros frêle, maladroit et apparemment inapte au combat – contrairement à son grand benêt de frère Kay -, pour le former, non sans astuce, à la connaissance du monde et aux mystères de la vie.
Par la culture et la magie, le sage, tout de bleu vêtu et les moustaches frétillantes de malice, montre alors la voie à suivre à celui qui deviendra le plus fameux des chevaliers de la Table ronde : étude des livres, découverte d’objets futuristes (Merlin pouvant voyager dans le temps et en rapporter les inventions des siècles suivants) et métamorphoses animales sont au programme de cette éducation fastidieuse mais pour le moins originale. À travers ses aventures initiatiques, Arthur apprendra non seulement les blessures que peut causer ce sentiment universel qu’est l’amour, l’aspect mortifère de la rivalité entre les êtres mais également les vertus de l’intelligence et du bon sens face à la cruauté du monde. En quittant les murs du château de son père pour partir explorer la forêt environnante, Arthur s’éloigne également de la civilisation et de la brutalité des hommes pour mieux développer son intellect de façon nouvelle et pacifique, au contact de la nature.
De ce point de vue, Merlin l’Enchanteur prône la valeur de la raison et de l’érudition pour contrer la barbarie d’un monde qui ne jure que par le désir de gloire et le pouvoir du corps. Au sein d’un studio qui misait déjà sur le spectaculaire – Walt Disney lui-même s’est intéressé au projet seulement après avoir vu la scène fabuleuse où Merlin déménage grâce à la magie, et le duel entre le mage et l’affreuse Madame Mim est le seul passage à avoir emporté l’adhésion de la critique et du public -, le film offre un discours bienvenu et une respiration rare, dans un paysage cinématographique déjà boursouflé par une surenchère de mouvements. Par ses chansons très peu nombreuses, la drôlerie de ses anachronismes, sa réécriture intelligente de la légende du Roi Arthur et son contournement habile du manichéisme – aucun méchant ne meurt à la fin du film -, Merlin l’Enchanteur s’inscrit bel et bien à contre-courant d’une production disneyienne déjà formatée pour le jeune public.
À une époque où le studio travaille sur des projets plus commerciaux, comme la prise de vue réelle (Mary Poppins sort un an plus tard) et la création de parcs à thèmes aux États-Unis, Merlin l’Enchanteur semble être une anomalie délicieuse dans le parcours de Disney. Si on daigne lui accorder un nouveau visionnage, le film révèle pourtant sans effort à nos yeux contemporains des dessins propices à la contemplation, un humour burlesque parfois hilarant et un propos réfléchi, qui résonne particulièrement dans notre monde contemporain où, au cinéma comme dans la vie, le privilège est toujours accordé à l’action et à la vitesse plutôt qu’aux prouesses de l’esprit, à l’importance de la culture et à la lenteur de l’apprentissage. Devant ce parfait équilibre entre science et magie, entre savoir et divertissement, entre ingéniosité et envoûtement, force est de reconnaître que Merlin l’Enchanteur, longtemps resté injustement mal-aimé, est aujourd’hui à reconsidérer comme l’une des œuvres oubliées les plus merveilleuses de notre enfance.
Coucou Emilie ! Entièrement d’accord avec ta très belle critique de ce chef d’œuvre Disney qui est depuis toujours mon préféré entre tous. Le personnage de Archimède, celui de Merlin.. c’est juste génial. J’aime tout particulièrement la scène où Merlin transforme le jeune Arthur en écureuil qui découvre à son insu ce qu’est le fait d’être épris, amoureux. Le combat final avec madame Mim est très chouette également. C’est toute mon enfance aussi et je sais que j’ai toujours plaisir à le voir. Je suis heureux de te voir écrire sur ce Merlin l’enchanteur. Tu sais que j’ai lu le livre qui est la source d’inspiration du Merlin « loufoque ». Il s’agit de Terence Hambury White et son « Excalibur, l’épée dans la pierre ». C’est un excellent livre. Je te mets le lien ici : https://livre.fnac.com/a311191/La-Quete-du-roi-Arthur-L-epee-dans-la-pierre-Tome-1-Excalibur-La-Quete-du-roi-Arthur-Tome-1-Terence-Hanbury-White
Toujours un plaisir de te lire et de voir que nous partageons pas mal de coups de cœur cinématographique.. sauf pour Christopher Nolan ^^ 😉 Passe une excellente semaine ! @très vite Emilie 🙂
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J’ai l’intime conviction que Merlin est le coup de cœur de nombreux cinéphiles. Contente de voir que tu es de ceux-là Frédéric ! 🙂 Beaucoup ont préféré retenir Le Roi Lion ou les films de princesse, alors que Merlin est tout aussi merveilleux, si ce n’est plus ! Archimède est l’un de mes personnages Disney préférés : un vrai caractère de cochon mais en même temps, un esprit brillant et affûté ! Et ce fou rire légendaire, avant que Merlin ne transforme Arthur en oiseau… Je ne m’en lasse pas !
Merci pour le conseil, j’irai jeter un œil à ce livre !
Très bonne semaine à toi Frédéric et à très bientôt pour de nouveaux partages ! 🙂
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un plaisir ! excellente soirée Emilie ! @très vite 🙂 🙂
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