The Handmaid’s Tale (saison 1) ~ Bruce Miller

Avec des programmes politiques et modernes tels que Sense8Transparent ou encore Orange is the New Black, les plateformes de vidéo en ligne Netflix et Amazon ont su s’imposer dans un monde où les modes de diffusion et de consommation de l’image sont en pleine mutation. En proposant des séries à la qualité de réalisation indéniable et au propos incisif sur notre société actuelle, tout en faisant appel à de grands noms du petit comme du grand écran – Jill Soloway (Six Feet UnderGrey’s Anatomy), Jenji Kohan (Weeds) et surtout Lana et Lilly Wachowski (MatrixCloud Atlas) -, Internet n’a aujourd’hui rien à envier aux plus grandes chaînes de télévision détentrices de séries à succès et a déjà rallié nombre de spectateurs aux pratiques du binge-watching. Déjà remarqué pour son sauvetage de la rom-com The Mindy Project et pour la production de 11.22.63, adaptation d’un roman de Stephen King avec James Franco, le site Hulu entend bien à son tour, grâce au « conte » horrifique de science-fiction The Handmaid’s Tale, s’affirmer comme un acteur à part entière de cette nouvelle vague sérielle.

Adaptée d’un roman de Margaret Atwood publié en 1985, The Handmaid’s Tale, à l’instar des chefs-d’œuvre d’anticipation que sont les romans 1984 et Le Meilleur des mondes, retentit particulièrement dans notre actualité. Dans une Amérique futuriste, le gouvernement a été renversé et la pollution a rendu la majorité des femmes stériles. Un groupuscule religieux élitiste a créé une toute nouvelle société, la République de Gilead, pour prévenir l’espèce humaine de sa disparition, quitte à laisser sa philanthropie et sa clémence sur le bas-côté. Pour ce faire, les femmes ont été divisées en plusieurs catégories et réparties au sein des foyers : les épouses, inaptes à porter la vie mais jugées assez chastes pour éduquer les enfants de demain, et qui ne peuvent intervenir que timidement dans les affaires de leurs maris, des hommes importants chargés de faire régner l’ordre et d’édicter les lois de ce monde nouveau ; les Marthas, des Cendrillon bonnes à tout faire, tenues de nettoyer la maison familiale et de préparer à manger ; les servantes écarlates, dernières femmes fertiles, capturées de force pour devenir des esclaves sexuelles et réduites ainsi à leur seule fonction reproductrice. Les femmes âgées ou infécondes, considérées comme inutiles à cette société patriarcale, sont envoyées dans les Colonies pour débarrasser la Terre de ses déchets toxiques, au péril de leur vie, tandis que tous les dissidents sont exécutés pour avoir osé contester l’ordre établi.

Pour illustrer cette dystopie terrifiante et délétère, la série use de très beaux procédés de réalisation. Enfermés dans le cadre, filmés en gros plan, touchés par un rai de lumière nullement divin, les personnages sont souvent immobiles, une lueur d’effroi dans la pupille, pétrifiés par l’idée d’un monde où ce qui donne un sens à la vie brille par son absence. Car dans ce tableau aux couleurs sombres et pâles, l’amour, la tendresse et la confiance en son prochain n’ont plus lieu d’être. Seules règnent la dictature, la violence et la peur. June, la protagoniste, rebaptisée Offred (Defred en version française) en hommage à l’homme dont elle est désormais la propriété, vit comme les autres servantes écarlates : menacée de coups si elle se montre réfractaire aux règles de la maison, mutilée si elle est trouvée en train de lire, dirigée par des maîtres manipulateurs et violée une fois par mois au moment précis de son ovulation. Surtout, elle a été privée de ses biens les plus précieux : son mari Luke, qu’elle croit mort, sa fille Hannah, enlevée, et son identité même, qu’elle s’acharne à ne pas oublier pour résister intérieurement à ce monde qui ne tourne plus rond. Par les révélations de sa voix-off et les flash-back qui nous présentent son passé et les événements qui ont mené la société américaine à sa perte – où nous découvrons progressivement les femmes forcées de quitter leur travail et dépossédées de leur compte en banque -, nous pénétrons véritablement au cœur du cauchemar.

Entre sévices, privations et contrôle moral, la souffrance des personnages résonne en nous, douloureusement, viscéralement. Seule échappatoire à cette incarcération du corps et de l’esprit, les souvenirs, par lesquels le bonheur peut resurgir. Les divagations de June, vaporeuses et éphémères, cristallisent une forme de résistance dans cette atmosphère irrespirable et prouvent que la seule chose qu’on ne peut enlever à un être humain, c’est sa liberté de penser. Car le plus terrible dans The Handmaid’s Tale, ce n’est pas seulement le dessein de cette nouvelle société qui anéantit considérablement les libertés individuelles, c’est aussi la réminiscence d’un passé heureux mais définitivement révolu, où, malgré les problèmes économiques et écologiques, l’amour envahissait les rues et s’affirmait sous toutes ses formes : le mariage catholique de M. et Mme Waterford, le couple adultère que formaient June et Luke, ainsi que les relations homosexuelles de Moira pouvaient avoir lieu sans entrave ni affront. En entrelaçant les directives de cette nouvelle société censée perpétuer l’Humanité, mais qui ne fait que l’emprisonner, et la vision d’un autrefois vivant et libre, The Handmaid’s Tale nous confronte à la précarité de notre présent pour que nous tentions de toutes nos forces d’en préserver la beauté et la diversité.

Cette disparition des sentiments et des félicités dans un monde aseptisé brille plus que jamais dans les épisodes 5 et 10, « Faithful » et « Night », sûrement les plus beaux de la saison. Dans le premier se mêlent les échos d’un amour révolu et les prémices d’un désir secret, tandis que les personnages se montrent en forte demande de réconfort et de sensualité, à l’heure où l’érotisme a déserté les corps et où le sexe, simple acte reproducteur, n’est plus vecteur de plaisir. Dans le second, à travers des scènes déchirantes, éclatent les cruautés les plus basses, les violences les plus intimes, mais aussi les derniers sursauts d’une humanité qui se refuse à tomber dans l’oubli et à céder aux pratiques intolérables qu’on lui impose. Au fil de la saison, la série a également l’intelligence de montrer que, derrière les mensonges et les apparences, certains gardiens, épouses et servantes traversent peut-être cette nouvelle vie à grand-peine, mais d’autres y trouvent leur compte et le moyen de remettre de l’ordre dans leur vie d’antan, qui n’était faite que de débauche et de misère. Dressant une fresque obscure et complexe, The Handmaid’s Tale se conclut dans les ténèbres, tout en laissant entrevoir quelques lueurs d’espoir. Aux côtés de June, nous avons envie de croire que ce qui reste d’humain dans cette société plus rétrograde que progressiste finira par se soulever contre la tyrannie.

En dix épisodes soignés visuellement, investis d’une noirceur oppressante et parfaitement interprétés (de la terrifiante Ann Dowd au taciturne Max Minghella, en passant par la lunatique Yvonne Strahovski, sans oublier Elisabeth Moss, devenue symbole du féminisme après ses rôles dans Mad Men et Top of the Lake), The Handmaid’s Tale parvient à se faire le miroir du système politique américain actuel, qui entend bien réformer en profondeur sa vision du droit des femmes. Pour faire réagir ses spectateurs et ses spectatrices aux dangers d’un avenir plus ou moins proche, le créateur Bruce Miller n’hésite pas à montrer l’abomination totalitaire d’un tel régime, en représentant sans fard les actes extrêmes et radicaux des êtres aveuglés par leurs idéaux, mais aussi à miser sur le drame sentimental et familial, pour que chacun puisse s’identifier aux angoisses et aux destins brisés des protagonistes. Avec ce programme qui a le mérite de nous bouleverser dans nos certitudes et d’enclencher le compte à rebours menaçant notre conception contemporaine du bonheur, Hulu aura bel et bien réussi le pari d’entrer au panthéon des plateformes incontournables, en nous aidant à porter un regard plus lucide sur le monde qui nous entoure et à anticiper son devenir.

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