En cette année mouvementée, le cinéma n’aura pas échappé au climat ambiant qui règne dans notre société actuelle. Tels des tempêtes terrifiantes ou des vents d’espoir, les films de 2016 ont soufflé sur nos âmes tantôt pour nous confronter à nos démons intérieurs, qui sont autant d’obstacles à nos libertés individuelles, tantôt pour nous rappeler que l’idéal du vivre ensemble n’est pas une chose impossible, qu’il est même à portée de mains. Explorant en profondeur les relations humaines, les élus de ce top ont su capter les vils sentiments qui nous animent, ou au contraire, les émotions qui nous rapprochent et nous unissent. Sombres ou lumineuses, réalistes ou utopiques, les œuvres de ces douze derniers mois ont surtout su redonner au septième art toute sa dimension humaine et initiatique, pour nous apprendre à vivre en harmonie avec nous-même et avec les autres.
Midnight Special, de Jeff Nichols : Pour sa première expérience en studio, Jeff Nichols se pare d’un prétexte de science-fiction et d’une ambiance fantastique pour nous offrir en réalité une sublime ode à l’amour parental et à la différence. En sondant avec justesse le cœur des hommes, le cinéaste met en scène un jeune garçon qui ne demande qu’à être soutenu dans ses choix, alors qu’il se trouve à un carrefour crucial de son destin, et des géniteurs prêts à tous les sacrifices pour protéger leur enfant des dangers extérieurs et des convoitises religieuses. Avec un sous-texte qui dépeint clairement les difficultés du vivre ensemble et l’acceptation de l’autre, Midnight Special devient un grand tableau d’espoir pour tous les marginaux de ce monde. Dans cette oeuvre importante où l’altérité et les relations filiales ont rarement été dépeintes avec autant de pudeur et de force mêlées, Jeff Nichols nous prouve que son cinéma reste une friandise merveilleuse : croquant à l’extérieur et intensément fondant à l’intérieur.
Anomalisa, de Charlie Kaufman & Duke Johnson : Explorer les abysses encore peu connus de l’animation pour grandes personnes, voici le but bien défini de Charlie Kaufman et Duke Johnson. En choisissant de représenter leurs personnages comme des pantins apathiques qui partagent un visage parfaitement identique et la même voix, les deux co-réalisateurs nous plongent avec un réalisme déstabilisant dans les ténèbres du quotidien. Notre incapacité à faire perdurer le bonheur, notre paralysie face à la routine et au temps qui passe, la mise en échec de nos relations avec les autres, tout passe au crible de ce film aiguisé et sinistre où le familier dévoile son potentiel monstrueux. Une expérience mélancolique aux limites de l’expérimental qui ausculte avec noirceur nos solitudes les plus profondes et nous rappelle qu’en animation, les projets singuliers sont parfois les plus aptes à sonder nos faiblesses.
The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn : En dépeignant l’univers cauchemardesque de la mode, Nicolas Winding Refn se montre plus féroce que jamais. Dans un film où la violence des corps habituellement masculins se voit remplacée par des jalousies et des convoitises conjuguées au féminin, des personnages vampiriques font montre de perversité et de vices bien dissimulés sous leur plastique sans défaut. Dans ce mythe de Narcisse horrifique, l’esthétique tapageuse de Refn trouve enfin sa voix pour nous conter les dangers de notre monde actuel : la poursuite de l’éternelle jeunesse, la démesure de l’amour propre, la superficialité de nos âmes et l’importance que l’on accorde aux apparences pourraient bien finir par nous dévorer vivants. En nous tendant le miroir de nos instincts les plus bas, The Neon Demon est une oeuvre d’une profondeur inattendue, parfaitement fardée mais surtout puissamment venimeuse. Parce que nous ne valons rien.
Paterson, de Jim Jarmusch : En véritable troubadour du réel, Jim Jarmusch nous livre un film à la fois apaisant et grave sur le quotidien de Paterson, un conducteur de bus lambda incapable de s’adonner à son art, la poésie. En déclinant sur sept jours la vie du personnage, un jeune homme mutique dont l’existence est réglée comme du papier à musique, et de sa femme excentrique, qui se croit artiste et se découvre un nouveau rêve chaque jour, le cinéaste enrobe le familier d’une suprême élégance et d’un style sans égal. Par le montage et la répétition, Jarmusch parvient à créer un poème visuel sublime et, en faisant jaillir des étincelles au sein même de la routine, nous rappelle que la véritable poésie se cache dans les petites choses de la vie. Paterson est un film dont on ressort le coeur léger, portés par l’envie dévorante de se confronter à la banalité du monde réel, pour y dénicher des instants suspendus de lyrisme ordinaire et en écrire des strophes d’une beauté toute prosaïque.
Zootopie, de Byron Howard & Rich Moore : Visuellement vertigineux, écrit avec intelligence et véritablement destiné aux filles comme aux garçons, Zootopie entend faire évoluer les consciences en ouvrant le monde aux vertus du partage, de la fraternité et de la tolérance. Ce film d’animation déjà classique assume en plus une modernité qui aura mis du temps à franchir les portes du royaume disneyien : avec le personnage de Judy, une minuscule lapine bien décidée à faire tout son possible pour atteindre son rêve démesuré d’entrer dans la police, le studio aux grandes oreilles mise sur un féminisme qui n’avait jamais autant brillé jusqu’ici. Il faut dire qu’en cette année 2016, il était bel et bien temps de s’affranchir des valeurs ancestrales et stéréotypées inhérentes à toutes ces princesses qui ont à peine changé d’un cheveu en soixante-dix ans d’existence. Judy Hopps, ou la première héroïne qui peut se revendiquer comme totalement libérée, délivrée.
Les Délices de Tokyo, de Naomi Kawase : Sous les cerisiers du Japon, Naomi Kawase tente de nous reconnecter aux choses simples de la vie et y parvient parfaitement. En nous sommant de communier, voire de converser, avec la nature et d’écouter ce que le monde a à nous dire, le film, d’une densité rare, nous rappelle également l’importance de mettre du cœur à l’ouvrage pour réussir nos entreprises, nous offre un joli tableau sur la cohabitation et le passage de relai entre générations et met en scène, tout en délicatesse et en retenue, la réunion de trois marginaux profondément esseulés. Leurs récits de vie nous apprennent qu’il est possible de trouver un sens à son existence sans pour autant suivre un chemin tout tracé et que la liberté et le bonheur ne s’acquièrent qu’une fois les pires souffrances éprouvées. En somme, Les Délices de Tokyo est un film infiniment tendre qui ne demande qu’à se laisser savourer avec les papilles, avec les yeux, et surtout avec le cœur.
Sully, de Clint Eastwood : Après quarante-cinq ans de carrière derrière la caméra, Clint Eastwood n’en finit pas de nous surprendre. Creusant de plus en plus le sillon de l’héroïsme, celui qui a accédé à la célébrité grâce à ses rôles chez Sergio Leone ou dans la peau de l’inspecteur Harry continue de remettre en cause son statut de star à travers les personnages qu’il s’attache à filmer. Aidé par la performance subtile de Tom Hanks, Eastwood met en scène le commandant Chesley Sullenberger, érigé par les médias comme étant la nouvelle icône de la nation mais hanté par un acte qui lui a pourtant valu de sauver la vie de nombreuses personnes. Incapable de poursuivre sa vie privée et troublé par l’opinion publique, Sully enlève peu à peu son costume mythique pour révéler l’homme qui se cache sous le masque. Dans un film à l’aspect feutré et où le sensationnalisme n’a pas droit de cité, Eastwood privilégie l’introspection et l’humanisme, pour mieux avancer à contre-courant d’un cinéma hollywoodien dénué d’âme.
Frantz, de François Ozon : Avec Frantz, François Ozon, en grand maître de l’ambiguïté, s’amuse une nouvelle fois à duper ses spectateurs. Derrière l’esthétique sobre du film, tissée d’un clair-obscur envoûtant et de quelques séquences de réminiscence en couleurs, se cachent en réalité bien des vices. Entre mensonge, culpabilité et illusion, Ozon emmène ses personnages dans un tourbillon de sentiments, où l’imposture du fantasme se confond aisément avec la rédemption et la convalescence émotionnelle. Grâce à une mise en scène vertigineuse proche du style hitchcockien, le cinéaste explore l’intériorité de ses personnages d’une façon fébrile et perspicace, pour mieux dessiner avec une perversité somptueuse leur perdition ultime. En brouillant brillamment les frontières entre fresque historique et drame psychologique, Frantz nous hypnotise par ses couleurs séduisantes avant de nous ramener à cette sombre idée que la vie n’est que nuances de gris.
Personal Shopper, d’Olivier Assayas : Hué au dernier Festival de Cannes, Personal Shopper s’affirme déjà comme une grande oeuvre incomprise. En filmant la magnifique Kristen Stewart, tantôt garçonne au style grunge, tantôt femme sensuelle, Olivier Assayas s’intéresse de près au personnage de Maureen, une jeune femme amputée de la moitié de son être après le décès de Lewis, son frère jumeau. Au sein d’une quête identitaire sulfureuse couplée d’un questionnement existentiel où le suspense devient roi, Assayas filme en creux le besoin vital pour cette acheteuse de mode esseulée d’établir un réel contact avec quelqu’un qui est mort, à l’heure où les vivants ne communiquent plus que par écrans interposés. En mêlant le visible à l’invisible, le matériel à l’immatériel, Personal Shopper dessine une ode à la croyance surnaturelle pour mieux pallier l’absence et le vide qui se sont installés dans nos existences modernes.
Dernier train pour Busan, de Yeon Sang-ho : Habituellement cantonné aux films d’animation, le cinéaste coréen Yeon Sang-ho dessine ici d’une main de maître une grande fresque désabusée et cynique sur les dérives de notre monde actuel. Magnats de la finance, parents inconscients, adolescents narcissiques, laissés-pour-compte, tout le monde y passe dans ce film de zombies aux griffes acérées, où les contaminés ont bien plus de choses à se reprocher qu’ils ne le croient dans le devenir d’une société régie par l’argent et l’individualisme. En mêlant action horrifique et mélodrame réflexif, Dernier train pour Busan est un grand film où l’Homme n’hésite pas à renoncer à son humanité pour sauver sa peau, mais où l’amour et l’espoir finissent par surgir des tréfonds d’une espèce menacée en laquelle il faut malgré tout encore croire.
Bonsoir Emilie !
Quel beau classement ! C’est toujours difficile de faire les choix entre tel ou tel film dans un top de l’année. Le premier film de ton classement est marquant. C’est un film que j’ai vu un peu avant le printemps il me semble au cinéma. Il est subtil, délicat et nous procurent de l’émotion sans forcer le trait. Certaines images sont sublimes et la fin m’a beaucoup plu aussi. The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn , ce film m’a intrigué et puis j’apprécie l’actrice elle fanning qui mûri de film en film avec grâce. Elle est parfaite pour ce rôle. Je suis curieux de voir le résultat. Tu m’as aussi donné envie de voir le Jim Jarmush avec un acteur très talentueux ! Le zootopie m’a aussi enthousiasmé. Ozon et Assayas,à voir également. J’aime aussi quand les films dérangent, nous gênent aux encornures, le Assayas semble être de ce bois là. Sils maria était déjà très chouette mais ce « personnal shopper » a tout pour me plaire aussi. Aller voir des films c’est aussi se forger sa propre opinion et comme toi il m’arrive d’être en désaccord avec la critique. Le dernier Dolan lui aussi a divisé et tant mieux ai je envie de dire. C’est ce qui est beau avec les blogs culturels c’est que l’on peut donner envie à l’autre de découvrir un univers, un style.. c’est précieux à l’heure d’une certaine uniformisation des goûts. Je salue donc ton éclectisme cinéphile et ta sensibilité ! Passe une bonne soirée Emilie 🙂 toujours un plaisir de te lire et d’échanger avec toi 🙂
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Il faut savoir se détacher des critiques pour se faire sa propre opinion, oui ! Lutter contre l’uniformisation, ça commence par forger ses propres goûts. Toujours un plaisir d’échanger avec toi Frédéric, bonne soirée à toi ! 🙂
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Très belle sélection ! Tu as du goût 😉 Il me reste encore à voir Personal Shopper mais je ne suis pas sûr d’aimer. Et y a quelques jours de ça j’ai vu Dernier Train pour Busan j’ai beaucoup aimé !
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Merci ! 🙂 Pour Personal Shopper, il faut le voir pour décider si l’on aime ou pas, et surtout s’affranchir des avis négatifs pour tenter de déceler les bons côtés du film.
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Je n’ai vu que Zootopie et Dernier train pour Busan (est-ce que je me sens inculte ?)(non, pas trop ça va)…
Personnal Shopper me tente (la bande-annonce est vraiment curieuse) mais j’ai très peur de Kristen Stewart en fait. Je suis toujours pas vraiment convaincue par son travail, étant donné que je vois pas de différences entre ses films et ses réactions filmées en interviews.
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Ah Kristen Stewart, ça passe ou ça casse. Olivier Assayas lui rend un bel hommage, il la filme magnifiquement donc on oublie un peu son visage inexpressif…
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Dans mon top j’ai également mis Dernier train pour Busan, Midnight Special et The Neon Demon !
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1. Moi, Daniel Blake
2. Café Society
3. Frantz
4. Julieta
5. Irréprochable
6. La Tortue Rouge
7. Le Fils de Jean
8. Merci Patron!
9. Nocturama
10. Rester Vertical
11. The Danish Girl
12. Room
13. Sing Street
14. Manchester by The Sea
15. L’Olivier
16. Mademoiselle
17. Les Huit Salopards
18. Ma loute
19. Les Délices de Tokyo
20. Les Premiers, les Derniers
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Tous ceux que j’ai pu voir dans cette liste (Neon Demon, Frantz, Midnight Special, Paterson), se retrouvent également sur mon podium !
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J’aimerais beaucoup voir Sully et le fait que tu l’aies ajouté à ton classement ne fait que renforcer ma curiosité.
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