Honkytonk Man ~ Clint Eastwood

Le cinéma est un cri qui vient de l’intérieur

Avant d’être le cinéaste mythique que l’on connaît, Clint Eastwood a longtemps peiné pour accéder à la reconnaissance qui lui était due. Considéré comme un acteur de pacotille et comme un faiseur totalement aliéné par le système hollywoodien, le cinéaste a pourtant multiplié les essais pour prouver qu’il avait parfaitement sa place au sein d’un cinéma artistique. Parmi ces tentatives, Honkytonk Man, une grande œuvre dramatique et sublime, fait malheureusement partie de ses échecs les plus cuisants au box-office américain, au même titre que Breezy ou Bird, deux films où l’absence de l’acteur faisait visiblement défaut. Ici, Eastwood apparaît pourtant à l’écran dans la peau d’un musicien du nom de Red Stovall et livre par la même occasion l’une de ses plus grandes performances d’acteur.

Interprétant le rôle d’un éternel marginal, Eastwood se confronte de nouveau à l’Amérique et à ses anges déchus. Contrairement aux cow-boys incarnés par Eastwood dans les années 1960, Red Stovall n’a plus rien d’un héros invincible : porté sur l’alcool et le tabac, la guitare sous le bras et des chansons grivoises plein la tête, le musicien rêve de se rendre à Nashville pour enfin percer dans le monde de la musique. Contre vents et marées, il prendra son neveu Whit (interprété par le propre fils d’Eastwood, Kyle) sous son aile pour l’initier à un mode de vie anticonformiste, lui ouvrant une fenêtre sur le monde et lui offrant un semblant de liberté. Idéaliste obstiné, Red se sacrifiera à son art, porté par le fol espoir de concrétiser ses ambitions avant de disparaître tragiquement.

Dans cette vision romantique de l’artiste qui se tue à la tâche, Eastwood met plus que jamais sa figure impassible en péril, montrant un personnage souvent ivre, atteint de tuberculose à cause des cigarettes (un comble pour celui qu’on surnommait El Cigarillo !) et dont la stature imposante a considérablement perdu de sa splendeur, notamment dans une scène de hold-up totalement ratée. Pour la deuxième fois après Bronco Billy, Eastwood assume complètement son personnage d’artiste maudit qui ne trouve sa place ni dans la société ni au sein de son art. L’élite à laquelle le personnage se confronte préfère largement des chansons familiales et tous publics aux airs un peu vulgaires que Red propose, pourtant véritables révélateurs de la vie et de ses travers. Incroyable commentaire d’Eastwood sur son propre cinéma, qui refuse de s’accorder aux poncifs hollywoodiens pour plaire au plus grand nombre et persiste à affirmer sa singularité afin de mieux explorer les tréfonds de l’esprit humain, quitte à parfois flirter avec le politiquement incorrect.

Là où Eastwood se montre le plus touchant, c’est dans le thème de la transmission, qui semble depuis lui coller à la peau. Dans ce film où règnent les airs de country, Red initie Whit à la musique et aux plaisirs de l’existence, se moquant visiblement de la morale, des mœurs conservatrices de la société et de l’opinion publique. Une manière pour Eastwood de dépasser la fiction et de rejoindre la réalité, en transmettant à son propre fils toute une façon d’appréhender l’existence mais aussi de lui léguer sa propre image de cinéma, image mythique qu’il s’est construite au fil des films et qui n’aura pas manqué de s’inscrire dans l’imaginaire collectif. L’aspect le plus romanesque de cette transmission père-fils réside surtout dans le fait que Kyle Eastwood, ici jeune adolescent fasciné par les talents musicaux de son oncle, est aujourd’hui devenu un musicien de jazz reconnu et de plus en plus présent sur la scène internationale.

Avec Honkytonk Man, Clint Eastwood parvient alors à mêler son amour pour la musique (son timbre voilé résonne dans toutes les chansons du film), sa fascination pour les personnages inadaptés à une Amérique qui a bien du mal à tenir ses promesses, une métamorphose de sa propre figure de cinéma ainsi qu’une transmission par laquelle passe le drame et qui deviendra le thème central de nombre de ses films tels que Gran TorinoMillion Dollar Baby ou encore Un Monde parfait. Si à l’époque de sa sortie, Honkytonk Man n’a pas fonctionné auprès du public américain, force est de constater qu’aujourd’hui, forts d’une vision rétrospective de l’œuvre eastwoodienne, il nous est impossible de nier que le film fait bel et bien partie de ses plus belles œuvres, sinon des longs-métrages où l’acteur-cinéaste a mis le plus de corps et de cœur. Une persévérance qui aura finalement porté ses fruits : trois ans plus tard, le cinéaste connaît sa première nomination cannoise pour Pale Rider. Aujourd’hui, Clint Eastwood est l’un des plus grands cinéastes du monde et, après quarante-cinq ans de carrière derrière la caméra, son talent artistique n’est évidemment plus à prouver.

Une réflexion sur « Honkytonk Man ~ Clint Eastwood »

  1. Déjà Clint faisait tourner ses enfants. Ce film a contribué, en France surtout, a redorer l’image d’Eastwood marqué par le personnage réac de Dirty Harry. Il figure parmi les plus beaux que je connaisse de sa filmographie.

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