Where to Invade Next & Before the Flood : l’Amérique en question

L’un est signé par le spécialiste du « documenteur », l’autre est mené tambour battant par l’un des plus grands acteurs hollywoodiens de sa génération. Sans se concerter, Michael Moore et Leonardo DiCaprio nous ont livré, à seulement quelques mois d’intervalle, deux documentaires où les États-Unis en prennent largement pour leur grade. Malbouffe, écologie, pouvoir politique, système carcéral, éducation : tout passe au crible de nos deux investigateurs, qui n’ont pas hésité à aller tâter le terrain pour dresser des constats susceptibles de faire trembler l’Américain lambda.

Grass is always greener over there

Dans Where to Invade Next, Michael Moore, qui nous a maintenant habitués à ses manies de reconstruire la réalité pour que celle-ci serve au mieux son propos, nous expose clairement sa démarche : parcourir à la manière d’un conquérant les différents pays d’Europe pour étudier le mode de vie de ses habitants et ramener leurs « bonnes idées » en Amérique. Des cantines françaises aux prisons polonaises, des écoles finlandaises aux entreprises italiennes, Moore dessine un portrait idéaliste d’une Europe magnifiée, qui apparaît dans son regard telle une oasis prospère où il ferait bon vivre. À travers un prisme naïf, nous découvrons que l’Européen moyen ne mange jamais gras (et ne connaît même pas le Coca-Cola), bénéficie de congés payés pour l’aider à profiter de ses vacances au soleil, apprend à parler six langues à l’université pour laquelle il n’a pas déboursé un sou, ne subit pas d’arrestation pour détention de drogues dures et se balade librement sur une île champêtre lorsqu’il a commis un crime.

Cependant, ce que Moore passe volontiers sous silence, c’est que tout n’est pas parfait en territoire européen : la précarité, le climat de xénophobie, l’intégration difficile des migrants, l’effondrement de la ruralité et les effets de la mondialisation sont autant de réalités que le réalisateur refuse de voir. Aux yeux d’un Européen, ce documentaire gentillet semble alors bien utopiste. Mais dans cette accumulation de clichés illusoires, Moore entend surtout susciter un choc chez les Américains, dans l’espoir que ces derniers réagissent face à leur quotidien et face aux règles que la société leur a imposées. Avec un humour dévastateur, une bonne dose de mauvaise foi mais aussi une candeur bienveillante dont on ne soupçonnait pas l’existence, Michael Moore exhibe les extrêmes idylliques de la société européenne pour créer un contraste criant avec l’American Way of life.

American Horror Story

L’exemple le plus probant – et le plus touchant, car Moore sait user d’émotion à dessein – vient de son exploration en Allemagne, où sont enseignées dans les écoles et exposées dans les rues les erreurs liées au passé de la nation. Pour ne pas reproduire les aberrations de l’Histoire du pays, et en particulier les déportations et les exterminations qui ont eu lieu sous le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale, les enfants allemands sont sensibilisés aux questions de respect et d’humanité dès leur plus jeune âge. Une façon pour Moore de dire aux Américains, qui occupent une terre où règnent encore la haine raciale, les préjugés religieux et l’homophobie, qu’ils devraient tirer des leçons de leur propre Histoire, forgée principalement par le massacre de peuples indiens et l’esclavage, pour ne pas reconduire aveuglément les fautes de leurs ancêtres.

Leonardo DiCaprio en fait de même dans le documentaire Before The Flood, réalisé par Fisher Stevens, dans lequel il se met en scène pour aborder la question du réchauffement climatique. L’acteur revient surtout sur l’histoire de l’industrie américaine afin d’en dénoncer les pratiques dévastatrices pour l’environnement. Explosions de montagnes et forages des sols pour obtenir des énergies fossiles, plantations de palmiers à huile dans les plus grandes forêts de la planète, élevage de bœufs en masse multipliant les émanations de méthane dans l’atmosphère : autant de « traditions » profondément ancrées dans le système américain, qui ont pour seul objectif de faire tourner la machine infernale de la consommation. En se rendant directement sur les lieux particulièrement touchés par ces questions environnementales – tels que le Pôle Nord où les glaciers ont triste mine, en Inde où les cultures sont ravagées par la montée des eaux ou encore dans la forêt de Sumatra, où les espèces animales sont en voie de disparition suite à l’action de l’Homme sur son écosystème -, DiCaprio met clairement les Américains face à leurs responsabilités en leur présentant sans filtre les dégâts que leurs habitudes, notamment alimentaires, ont causés.

People hearing without listening

Le combat louable de DiCaprio, qui lui a valu de nombreuses railleries de la part des médias, paraît pourtant perdu d’avance. Ce que Before the Flood met particulièrement en lumière, et qui a de quoi terroriser chaque être humain qui se respecte, c’est le déni général dont font preuve nombre d’hommes politiques, de journalistes et de sénateurs américains face à la question écologique. À l’heure où les élections présidentielles battent leur plein, chaque Américain peut alors se rendre compte, grâce au ton franc et direct adopté par l’acteur hollywoodien, que Donald Trump, plus chéri qu’il n’y paraît outre-Atlantique, et bien d’autres hommes de pouvoir, répudient en bloc la dégradation considérable de notre espace vital, par provocation ou simple bévue. S’il se heurte à des esprits hermétiques et aveugles, le discours de DiCaprio semble pourtant primordial pour secouer les consciences de tout un chacun, non seulement sur la réalité du réchauffement climatique, mais aussi sur le mensonge dangereux et la manipulation qu’exercent sans pitié certains puissants de ce monde.

Une invitation à l’ouverture d’esprit, que Michael Moore tente également de promulguer dans Where to Invade Next. Grâce aux témoignages qu’il a récoltés, le réalisateur parvient à créer une sorte de dialogue entre l’Américain qui devrait s’inspirer de ses voisins et le reste du monde. Une intervenante tunisienne demande ainsi à la caméra, avec un brin de révolte et d’incompréhension, pourquoi les Américains préfèrent perdre leur temps devant des émissions de télé-réalité abrutissantes telles que le show des Kardashian plutôt que de s’ouvrir au monde et à sa complexité, de faire preuve de curiosité envers des questions sociétales telles que le droit des femmes, de comprendre les raisons et les motivations des conflits internationaux ou tout simplement de s’intéresser à la culture d’autrui. Moore et DiCaprio font alors cause commune pour que l’Amérique regarde plus loin que le bout de son nez et prenne conscience, d’une part de l’influence qu’elle exerce sur le reste de la planète, d’autre part de son ignorance face à la diversité de ce qui l’entoure.

Princes of the Universe ?

Après des années d’insouciance et d’allégeance à un progrès meurtrier, nos deux investigateurs invectivent clairement leurs spectateurs pour leur conseiller vivement de s’ouvrir à la beauté du monde, où humains, animaux et végétaux devraient pouvoir cohabiter en paix et en harmonie. Pour pallier l’autodestruction dans laquelle l’humanité est profondément enracinée, qu’elle soit environnementale, sociale ou économique, il faut surtout que les États-Unis, en tant que première puissance mondiale, ouvrent les yeux sur l’éventail des modes de vie existants, sur le manque de confort de certaines populations (et le trop-plein de la leur) et surtout sur le rôle indispensable que joue la nature dans notre essence d’être vivant. L’un avec un « optimisme illuminé », comme il le qualifie lui-même, l’autre dans la peau d’un pessimiste en quête d’issues pour retrouver espoir, Moore et DiCaprio regardent tous deux leur pays d’origine avec gravité dans l’optique de provoquer, par un plaidoyer qui entend joindre l’acte à la parole, une vague d’insurrection pour enfin changer les choses.

Comme le montre le tableau Le Jardin des délices de Jérôme Bosch, que DiCaprio décrit longuement pour souligner la décadence inhérente à la nature humaine, il s’agit surtout de ne pas sombrer dans un enfer créé de toutes pièces par les vices et les excès de notre espèce. Pour de nouveau accéder à un paradis perdu qui nous a échappé par pure vanité, il n’y a plus qu’une seule solution : s’armer d’un marteau et frapper de toute sa force de conviction jusqu’à faire tomber le système établi et les nombreux obstacles à nos libertés, à notre bonheur et à notre survie. En une seule et même voix, Moore et DiCaprio, chacun à leur façon, lancent donc un cri d’alarme aux habitants de la « Terre promise », qui se sont engoncés dans un confort destructeur et, dans leur indolence contagieuse, ont fini par contaminer leurs semblables. Pour que les États-Unis deviennent enfin le chef-lieu exemplaire d’un monde qui aura purgé ses peines et pourra de nouveau clamer des valeurs humanistes, les notions de rêve américain et de libéralisme restent aujourd’hui à reconstruire.

4 réflexions sur « Where to Invade Next & Before the Flood : l’Amérique en question »

  1. Moore – Di Caprio, l’union d’une force commune cherchant à réveiller les consciences. Ce n’est pas gagné mais ça a le mérite d’exister. Trump a gagné, nos deux hommes se réveillent avec la gueule de bois. C’est dommage parce que je crois profondément à l’effort d’une pédagogie qui à l’école notamment nous offriraient une ouverture d’esprit suffisante pour comprendre, analyser, peser sur les choix futurs en matière d’écologie etc.. Je pense que tant qu’on ne montrera pas que nous sommes sur une même planète et que celui qui pollue, se pollue lui-même mais aussi ses voisins et les générations futurs, tant qu’on ne montrera pas également combien le développement économique et le respect de l’environnement ne sont pas antinomiques, mais qu’ils doivent procéder l’un de l’autre et bien nous aurons des « Trump ». Je trouve louable l’effort de ces deux figures américaines, les cyniques se moqueront d’eux et de leurs bons sentiments. Je déteste les cyniques et je pense vraiment qu’on peut inverser la tendance mais là ça devient urgent. Tout cela pour te dire que je regarderais volontiers ces deux documentaires. Ton texte est ciselé comme à chaque fois et d’une grande cohérence. Ton regard profondément humaniste fait du bien. Je me réjouis de voir qu’il existe encore des personnes ne cédant pas au cynisme ambiant. Ne nous décourageons pas 😉 Passe un bon weekend ! demain 11 Novembre férié, ça va faire du bien. @très vite Emilie ! 🙂

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    1. C’est à force de cynisme qu’une chose pareille a pu arriver. Michael Moore avait prévu la victoire de Trump et il ne s’est pas trompé, mais il a essayé de combattre le Mal par la bienveillance. Certains le trouvent naïf, et il est vrai que son documentaire est quelque peu démagogique, mais ça part d’une bonne intention. Pareil pour DiCaprio, qui en a vu de toutes les couleurs avec les médias, alors qu’il s’engage pour une bonne cause. Je pense qu’il faut encore croire à ceux qui osent prendre la parole, quitte à s’attirer la foudre de leurs semblables, pour contrer l’aveuglement général dans lequel nos sociétés ont sombré. Le cynisme ne sert à rien, il faut continuer de rêver et d’espérer ! 🙂 Bonne soirée Frédéric et bonne fin de (long) week-end ! 🙂

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  2. J’ai beaucoup aimé le film de Michael Moore, certes assez dirigé et mis en scène (il est certain que tout n’est pas tout rose en Europe). C’est faussement candide mais ça a le mérite de poser de vraies questions sur l’Amérique et surtout nous de relativiser sur certaines questions alors qu’on a tendance à être « complexé » par cette « grande » nation.

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    1. Moore est fort pour arranger les choses à sa sauce ! Certains considèrent qu’il est naïf, voire hypocrite, mais je trouve que ça fonctionne toujours et qu’il a, comme tu le dis, cette capacité à poser de véritables questions sur l’Amérique et ce qui ne tourne pas rond dans la tête de ses habitants. Son film est peut-être malhonnête, candide, mensonger, mais c’est tout de même éclairant.

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