Wild World
Le cinéma s’est toujours montré particulièrement friand de personnages en quête de liberté, désireux de vivre en dehors d’un système social régi par l’argent et l’asservissement. Into the Wild de Sean Penn nous montrait les dangers de cette réclusion, avec un Christopher McCandless empoisonné par ses propres idéaux, là où Wim Wenders, dans son splendide Paris, Texas, en louait les vertus en dessinant ce choix de vie comme une échappatoire, à travers la fuite finale du personnage principal, un solitaire taciturne souhaitant se soustraire à un monde dévoué au culte de l’image où sont nées des souffrances émotionnelles impossibles à panser. Aujourd’hui, c’est à Matt Ross de se lancer dans l’aventure avec Captain Fantastic, dans lequel Ben, un père de famille, a choisi d’élever ses six enfants en pleine nature, loin de toute contrainte financière et de tout diktat poussant à la consommation.
Dans un premier mouvement, Captain Fantastic dresse ainsi le tableau réjouissant d’un patriarche et de sa petite troupe vivant en autarcie au sein d’une forêt verdoyante, cultivant aussi bien leur autonomie et leur force physique pour survivre en milieu hostile que leur intellect en développant leur esprit critique, leur connaissance littéraire et philosophique (en vouant un véritable culte à Noam Chomsky notamment) ainsi que leur apprentissage de divers langages étrangers. En prônant d’abord cette utopie où règnent culture et liberté, Captain Fantastic envoie un joli pied de nez à une Amérique engoncée dans un béotisme consternant, hébétée par la malbouffe, les jeux vidéo et le lucre. Par ses actes anarchistes et libertaires qu’il inculque à sa progéniture, Ben déterre surtout ce qu’il reste d’humain au sein d’une société totalement fermée aux convictions de son prochain, en particulier si celles-ci ne répondent pas à des critères de bien-pensance imposés par les grandes institutions telles que la police, le gouvernement, l’école, l’industrie et surtout l’Eglise.
En façonnant ses enfants d’une main de fer pour les mener à l’excellence dès leur plus jeune âge, Ben impose surtout un modèle d’éducation où le mensonge et la paresse n’ont pas droit de cité mais qui déplaît particulièrement à sa belle-famille, constituée de catholiques dévots ancrés jusqu’au cou dans un capitalisme obscène. Cependant, lorsqu’ils se trouvent confrontés au « monde réel », ces enfants sauvages ne peuvent résister à l’envie de goûter aux joies d’un univers qui leur est inconnu. La volonté d’expérimenter cette chose mystérieuse que l’on appelle « hamburger », de se sociabiliser avec des personnes de sexe opposé ou de s’inscrire dans des universités de prestige vient rapidement brouiller l’apparente harmonie de cette famille bohème. Très vite, dans sa deuxième partie, le film expose les limites de ce système d’éducation idéaliste en mettant en scène des gamins manifestement loin d’être préparés à vivre en société. Dans leur collision à un mode de pensée différent du leur, les enfants sont alors ridiculisés ou mis en danger, ce qui ne manque pas de remplir leur géniteur de doutes et de lui révéler que ses rêves d’émancipation n’étaient peut-être pas dénués de risques.
Après avoir jugé inconciliables les croyances des uns et des autres, le film nous offre une magnifique scène portée par une douce reprise de Sweet Child O’Mine des Guns N’ Roses, où la joie rayonne dans une célébration de la vie et où l’espoir renaît quant à la validité d’une existence affranchie. Malheureusement, le film finit par s’abandonner à la sagesse dans un dénouement éminemment bancal. Si le dernier plan peint une ambiance sereine et reconstruit le cocon familial après son délitement, il dit en fait l’impossibilité pour Ben et ses enfants – et donc pour tout être humain – de vivre totalement isolés. Là où le film assumait pleinement son insoumission, il revient finalement à la raison en montrant des personnages contraints d’intégrer la société pour plus de sécurité mais aussi moins de liberté(s). Ces philosophes-rois vont-ils faire leur entrée dans le monde pour répandre leur idéologie libertaire ou bien pour se fondre dans le moule d’une civilisation conformiste ? Le film dessine un juste milieu louable entre vie sauvage et socialisation, mais contourne en réalité le cœur de la question en ne tranchant jamais d’un point de vue purement idéologique.
Captain Fantastic se dérobe ainsi devant un propos radical qui aurait pu ébranler les consciences et révolutionner les habitudes de ses spectateurs, majoritairement américains. En ne prenant parti pour aucun de ses personnages et en succombant à une certaine moralisation d’un mode de vie ambitieux et peut-être salvateur pour le bien-être et la liberté de penser de chaque être humain, Matt Ross laisse en fait la problématique de son film en suspens, ne voulant froisser ni un public profondément embrigadé dans un système oppressant, ni les réfractaires qui ont préféré se réconcilier avec les bienfaits d’une vie en ermitage. De cette façon, le film échappe peut-être à un récit manichéen, mais il esquisse surtout une marginalité qui n’est jamais réellement traitée de façon élogieuse et une affection paternelle qui tarde considérablement à s’affirmer au sein d’une famille censée défendre des valeurs humanistes. A trop osciller entre deux idéologies, Matt Ross ne parvient qu’à donner un coup d’épée dans l’eau et prouve les difficultés à se mesurer à un cinéma politique sans y diffuser une bonne dose d’engagement.
Au contraire, j’ai trouvé que cette fin était pleine de bon sens car le but de Matt Ross, selon moi, n’était pas de dire « retournez dans la Nature, c’est là qu’est la vie » (on a tous conscience aujourd’hui que malheureusement c’est impossible) ; mais plutôt de dire que tous les extrémismes ne sont pas bon à prendre, qu’il faut prendre conscience des travers de notre société et essayer, autant que faire se peut, de trouver un juste milieu qui permette à la fois de vivre avec ses opinions et d’être intégré à une société à laquelle il serait illusoire de penser qu’on puisse y échapper.
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J’ai trouvé très intéressant ton article. Je n’ai pas encore vu le film mais cela ne saurait tarder (s’il est encore à l’affiche 😉 Viggo Mortensen est un formidable acteur, il parle d’ailleurs très bien le français, c’est impressionnant (je l’avais vu dans une émission dernièrement sur France 5 je crois). Un film qui divise si j’en crois les différents avis. J’aime ça. Passe un bon weekend Emilie 🙂
ps: il y a une interview de Jean Pierre Léaud dans Télérama. J’ai tout de suite pensé à toi. Tu avais fais une note sur lui il me semble. 🙂
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Je rejoins l’avis de Lully fabule, qui a, pour moi, bien résumé la fin du film. Pour moi c’est vraiment le message du film même si le réalisateur est évidemment admiratif du choix de vie de Ben mais il montre bien que cela a des limites et qu’on doit trouver des compromis. On ne peut pas vivre sans la nature mais on ne peut pas vivre non plus sans la société. J’ai en tout cas adoré ce film qui a su poser de bonnes questions sur nos modes de vie et l’éducation.
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A reblogué ceci sur heart1001 (e-motions & movies).
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