Juste une illusion
Depuis son tout premier film J’ai tué ma mère, réalisé alors qu’il n’avait que dix-huit ans, Xavier Dolan s’est vu érigé comme le nouveau petit génie du septième art par un ensemble considérable de critiques et de cinéphiles aveuglés par son éblouissante ascension. Il faut dire que des cinéastes de moins de trente ans, on n’en croise pas à tous les coins de rue et ça a de quoi impressionner le petit spectateur qui galère dans la vie. Pourtant, aujourd’hui, alors qu’il vient de recevoir un prix cannois pour son nouveau film Juste la fin du monde, Xavier Dolan se confronte pour la première fois à un mépris quasi-unanime de la part de ses adorateurs. Il fallait bien qu’un jour toutes les failles propres au style de Dolan – à savoir l’hystérie, l’immaturité, la complaisance, l’artificialité et le vide abyssal du propos – finissent par sauter aux yeux des spectateurs restés trop longtemps ébahis devant ce gamin qui n’a rien à dire.
Pourtant, tous les défauts de Juste la fin du monde ne sont pas nés de la dernière pluie. Comme à son habitude, le réalisateur québécois y fait à nouveau preuve d’un nombrilisme à toutes épreuves, se regardant filmer avec satisfaction, content de ses effets pompeux, de sa mise en scène théâtrale ainsi que de ses échappées clipesques qui se veulent lyriques mais plongent la tête la première dans une emphase des plus irritantes. Au sein de séquences interminables entrecoupées par des pauses musicales surannées, Dolan place ses personnages les uns face aux autres dans un huis clos irrespirable, où affaires de famille et discordes fraternelles viennent former une cacophonie délétère. Par des gros plans étouffants, le jeune cinéaste s’approche au plus près des visages des êtres qu’il met en scène mais ne parvient jamais à capter la nature de leurs angoisses, de leurs regrets, de leurs âmes. Cette superficialité esthétique dessert alors totalement le récit, qui s’avère un véritable puits sans limpidité ni substance dont il est impossible d’explorer les tréfonds.
Les dialogues auraient pu nous aider à éclaircir cette sombre querelle entre générations, mais Dolan s’affirme ici plus que jamais comme un grand spécialiste du verbiage. Hésitations, bégaiements, vociférations et bavardages dénués de sens sont au rendez-vous de cette mascarade ubuesque, où le passé des personnages et leurs sentiments véritables se trouvent noyés sous tout un tas d’inepties. Que ce soit en filmant un trio amoureux dans Les Amours imaginaires, un gosse en mal d’affection dans Mommy, un coming-out problématique dans Tom à la ferme ou cette famille totalement désagrégée dans Juste la fin du monde, Xavier Dolan ne réussit jamais à aborder de façon réfléchie les thématiques qui lui importent, à savoir l’incommunicabilité entre les êtres, la famille et la marginalité. Seul Laurence Anyways, petit miracle parmi la fange, est parvenu à réunir toutes les obsessions du cinéaste dans une tranche de vie débordante de frémissements et de grâce.
Dans ces films qui ne parviennent pas à faire entendre leur musique, les comédiens réussissent tout de même à briller, pareils à des étoiles dans le ciel ténébreux de l’absurde. Dolan s’est ici séparé de ses actrices québécoises fétiches Anne Dorval et Suzanne Clément pour s’offrir le nec plus ultra du cinéma français. Des acteurs dont la présence inquiétait pour leur grande popularité mais qui s’avèrent tous parfaits dans leurs rôles respectifs : Nathalie Baye en mère peinturlurée et excentrique finalement capable de sagesse, Gaspard Ulliel en fils condamné aux silences qui en disent long, Léa Seydoux en jeune soeur toxico, mais surtout Marion Cotillard, qui n’a jamais parue aussi douce et touchante que dans ce rôle de belle-sœur effacée et un peu niaise, dont les grands yeux bleus compatissants et les gestes nerveux fascinent pleinement, et un Vincent Cassel en grand bloc de colère et de puissance émotionnelle qui recèle en réalité plus d’humanité et de fêlures qu’il n’a voulu le laisser croire jusqu’ici.
Malgré des acteurs remarquables, Juste la fin du monde n’a alors rien d’autre à proposer que ce que Dolan fait depuis le début de sa carrière : construire dans l’urgence un néant coquet et stérile qui n’a d’autre but que de rappeler au monde son existence, mais qui, à force de minauderie et de vacuité, finira par le faire tomber dans les limbes de l’indifférence. « Le goût est fait de mille dégoûts », écrivait Paul Valéry. Aujourd’hui, heureux est le spectateur qui persiste dans son désamour de Dolan et qui continue à ne voir que du vent dans ses productions, car il peut ainsi se conforter dans l’idée que, à l’heure où nous manquons cruellement de réelles interrogations et d’une pensée lucide sur ce qui nous entoure, ce qui nous donne entièrement foi dans le cinéma, c’est sa capacité à peindre la complexité des sentiments humains, le regard particulier qu’il nous offre sur le monde, ses promesses de périple et de magie, et des sentences susceptibles de faire évoluer nos consciences. En somme, tout ce que Dolan et Juste la fin du monde n’ont pas.
XD Quelle maestria dans le démontage 😉
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Je rejoins le propos de fjva, même si j’ai beaucoup aimé Juste la fin du monde et encore plus Mommy, je reconnais que cet article est non seulement brillamment écrit mais intéressant. J’aime le Cinéma de Dolan car il possède une naiveté et un amour de ses personnages et acteurs qui me touchent. Ces films possèdent certes de défauts mais en véritable cinéaste (j’ai tendance à différencier cinéaste et réalisateur) il a des thématiques et obsessions propres qu’il approfondie à chaque métrage. Le coté kitsch et clipesque de ces films ne me dérangent pas, au contraire, ils pourraient être ridicules mais sont souvent poétiques.
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Dolan divise beaucoup, c’est peut-être là sa beauté. Tout est une question d’émotion, de sensibilité : personnellement, son cinéma ne me touche pas, mais c’est bien de voir des avis si divers. Merci pour ce commentaire 🙂
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Alors je n’ai pas encore vu le film et je n’ai jamais vu un seul Dolan, mais je suis un grand fan de Jean-Luc Lagarce et j’ai énormément tiqué sur les critiques concernant l’absurde, le vide des persos et la qualité d’écriture. J’ai presque envie de dire que je m’en insurge si c’est le reproche fait à Dolan, parce que c’est l’un des grands enjeux de la pièce et si c’est respecté, c’est plutôt une bonne chose 😱 bref, le démontage m’a donné encore plus envie d’aller me faire une idée ! Merci ? 🙈
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Très honnêtement, je ne connais pas la pièce de Jean-Luc Lagarce, mais ça ne m’étonnerait pas que Dolan ait pris beaucoup de libertés par rapport au texte d’origine, tant au niveau des dialogues et du déroulement du récit qu’au niveau des intentions de l’auteur. Dolan fait du Dolan et je pense qu’il est trop occupé à se regarder le nombril pour réellement capter l’essence d’un texte qu’il adapte. Après, il faut aller voir le film pour se faire son propre avis, ma critique n’est pas parole d’évangile ! 😉
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Merci pour ta réponse ! Dès que j’ai un peu de temps, je vais le voir et je reviendrai par ici ensuite donner mon avis final 🙂
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Forcément, Xavier Dolan a pris quelques libertés avec le texte originel de J.L. Lagarce. A mes yeux, ces libertés sont justifiées et nécessaires. Le texte de J.L. Lagarce laisse une part conséquente aux monologues. Une caractéristique qui ne passerait pas au cinéma et X. Dolan a brillamment évité l’écueil du théâtre filmé. Voilà pour rassurer Shiplisso.
Étonnant papier d’Émilie qui a bien capté les personnages mais rejette le film dans son entièreté, étrange.
Pour moi, Juste la fin du monde est le film dans lequel Dolan se regarde moins le nombril et est à l’opposé d’un Amours imaginaires. Voir mon blog pour un avis autre sur ce film de X. Dolan.
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Je trouve les personnages bien incarnés mais qu’ils s’agitent dans un non-sens généralisé. Rien d’étrange à cela !
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Étonnant plutôt qu’étrange aurait été un terme plus approprié dans mon précédent commentaire.
A mon avis, mais ça n’engage que moi, ce n’est pas du non-sens mais juste de l’incommunicabilité. Chaque personnage reste dans ses idées malgré une volonté d’ouverture. Finalement, seule la belle-sœur semble avoir compris ce qui motivait ce retour après 12 ans d’absence.
L’incommunicabilité reste un thème fort et central chez Dolan.
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Ton texte est très beau et c’est un plaisir à chaque fois de partager avec toi Emilie. Pour ce qui est de Dolan, je comprends tous les écueils que tu soulignes. Son cinéma touche ou ne touche pas. Je n’aime pas le cinéma maniéré, poseur, nombriliste et pourtant j’ai aimé ce film sincèrement et non par posture pour dire aux gens Dolan c’est le meilleur et tant pis si vous n’adhérez pas 😉 j’ai aimé son film qui m’a ému. Il me reste à découvrir ses premières œuvres pour pouvoir mesurer s’il est meilleur qu’avant ou en totale perte de contrôle. Pour tout te dire, je m’attendais au pire avec ce film mais je ne sais pas, le jeu des acteurs m’a saisi, emporté. Les acteurs sont très justes et Cotillard ne m’a jamais semblé aussi dépouillé et juste. C’est ce que j’aime dans le cinéma, le débat autour d’une œuvre, le fait que l’on soit cueilli ou pas. Simon sur un autre blog disait que le cinéma de Dolan partage, divise et il a mille fois raison. Par contre je crains son prochain film pour Hollywood, on verra bien 😉 bonne soirée Emilie et merci pour cette belle note !
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Il y a des films comme ça qu’on croit ne pas aimer avant d’aller les voir et qui finissent par nous séduire, là est toute la beauté du cinéma ! Toute est une question d’émotion, il suffit de se laisser porter et avec Dolan, j’en suis incapable tant la forme de ses films a le don de m’agacer. Je continuerai pourtant à aller voir ses films, et notamment son prochain film fait à Hollywood (dont on peut craindre effectivement qu’il se laissera bouffer par les rouages des studios) avec les magnifiques Jessica Chastain et Susan Sarandon ! Ne jamais abandonner face aux cinéastes auxquels on n’adhère pas, on ne sait jamais, un miracle peut se produire ! 🙂
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Jessica Chastain et Susan Sarandon quel casting quand même, c’est beau. Curieux de voir ce que Dolan peut devenir avec la machine à broyer hollywoodienne.. J’aime cette idée de persévérer, de ne pas se fermer, de rester en éveil et d’être ouvert ! oui c’est toute la beauté du cinéma 🙂
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Je te trouve un petit peu dure, malgré la beauté éblouissante de ton texte (qui est vraiment très très bien écrit je tiens à te le dire). Je pense que comme tout art, le cinéma est une question de sensibilité. C’est sûr que ce jeune réalisateur a une belle gueule et qu’il n’hésite pas à s’en servir mais tout n’est pas qu’esthétisme ou symbolisme dans Juste la fin du monde. Personnellement, je me suis laissé convaincre par le jeu de chaque acteur et les nombreux balbutiements et silences contemplatifs qui brisent le récit renforcent le sentiment de réalisme (je dirais même qu’ils sont une marque de fidèlité à l’oeuvre originelle, qui est une pièce de théâtre). Plusieurs scènes m’ont fait penser à des disputes que je peux avoir dans la vie de tous les jours avec mes proches par exemple. En bref, j’ai plutôt été séduit !
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Oui, tout est une question de sensibilité, surtout chez Dolan, qui peut soit emballer complètement soit agacer au plus haut point. J’appartiens plutôt à la deuxième catégorie… J’aurais aimé voir de la beauté dans ces silences contemplatifs, et surtout dans le long regard au début du film entre Cotillard et Ulliel, mais ça n’a pas pris avec moi. Dolan divise beaucoup et c’est peut-être là sa beauté…
Merci pour ton commentaire et tes compliments !
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À peu près d’accord avec la critique même si je ne serais pas aussi sévère… Je trouve que cela reste un film porté par des acteurs brillants mais le dispositif Dolan trouve ses limites ici, après la baffe Mommy.
En fait que je pense que le cinéma de Dolan c’est un peu comme un boys-band… Effet de mode ou carrière en adolescence ? La question mérite d’être posée… même si je pense plus effet de mode. Mais j’espère me tromper.
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je comprends que l’on puisse trouver ce film pénible, mais c’est pour moi la meilleure représentation de l’enfer familial depuis bien longtemps.
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