Everybody Wants Some ~ Richard Linklater

Génération superficielle

A cinquante-cinq ans, Richard Linklater affiche un parcours plutôt atypique. Capable du pire (Rock Academy, Fast Food Nation) comme du meilleur (la sublime trilogie Before Sunrise, Before Sunset, Before Midnight), le réalisateur montre une facilité déconcertante à vagabonder du film d’auteur pur jus au grand film de studio (Le Gang des Newton), tout en explorant de manière stimulante la question de l’animation (Waking Life, A Scanner Darkly). Après le très salué Boyhood, où son entreprise audacieuse consistait à étendre son tournage sur douze années pour filmer l’évolution physique comme mentale de son jeune acteur, Richard Linklater revient aujourd’hui avec une comédie légère, qui connaît d’ailleurs une sortie plus confidentielle que son précédent long-métrage. Sorte de suite à Génération rebelle qui mettait en scène des lycéens, Everybody wants some dessine la vie de jeunes étudiants texans, livrés à eux-mêmes le temps d’un week-end de débauche.

Dans une optique nostalgique, Linklater dresse le tableau d’une époque qu’il a connue lui-même étant adolescent, dans les années 1980. Si cette partie de sa vie a sûrement été paradisiaque (et tant mieux pour lui), force est de constater que cinématographiquement, la paradis a plutôt des airs de réchauffé. Certes, la reconstitution des eighties est remarquable : outre les costumes et les looks kitsch, les disques vinyles, les belles voitures et la musique entraînante (allant de Blondie à Queen, en passant par le fameux titre country Cotton Eye Joe), il s’avère assez agréable de découvrir à quoi ressemblait la vie de jeunes adultes à l’heure où les téléphones portables, les ordinateurs et les réseaux sociaux n’avaient pas encore élu domicile dans les chambres étudiantes. Cependant, quand il s’agit de dépeindre la réalité de la jeunesse de l’époque, Linklater s’illustre dans une définition bien trop stéréotypée de l’exploration adolescente et de la découverte de soi pour réellement faire mouche.

En effet, le film brasse un nombre considérable de clichés concernant les étudiants américains, notamment imposés par les films de campus. Ses protagonistes masculins, pour la plupart beaux et musclés, sont forcément sportifs et emballent par conséquent toutes les jolies filles, qui, d’abord récalcitrantes devant les techniques de drague foireuses de ces messieurs, finissent par succomber sans problème à leurs beaux yeux. Trois jours avant la reprise des cours, la troupe des joueurs de baseball s’offre du bon temps, jour et nuit, sans penser au lendemain : plongeons dans un ruisseau, batailles dans la boue, bizutage cruel, baisers entre filles et coucheries multiples sont forcément de mise et viennent former un joyeux bazar bien banal et superficiel. Dans ce portrait sans relief d’une génération trop insouciante pour être réaliste, les personnages manquent cruellement d’âme, s’agitant sur l’écran comme de vulgaires pantins.

Tiraillé entre l’envie de présenter ses personnages comme des clowns (pour remplir le cahier des charges de ce film vendu comme une comédie) et la volonté de porter sur eux un regard nostalgique, Richard Linklater ne parvient jamais à trouver le bon dosage entre la légèreté de la jeunesse qu’il souhaite dépeindre et la mélancolie qu’il éprouve à l’égard de ce temps révolu. Le réalisateur aurait amplement gagné à explorer plus en profondeur la psychologie de ses personnages au lieu de les exposer dans ce défilé certes intéressant esthétiquement, mais totalement vide de sens. Le temps d’une réplique, Jake, le personnage principal, se demande tout de même s’il appartient bel et bien à cette catégorie quelque peu étriquée du « sportif idiot ». Pourtant, le jeune homme ne semble jamais s’en affranchir – même dans sa relation avec la douce et naïve Beverly – et n’affiche aucune volonté de se rebeller contre l’étiquette qu’on lui colle, comme s’il s’agissait d’une fatalité incontournable. A travers la frivolité de ces éphèbes que rien ne semble atteindre, Linklater nous prouve qu’aucun cœur ne bat sous les muscles de ces athlètes écervelés.

Si les étudiants du film n’ont pas accès aux mêmes technologies que ceux de notre époque, cela ne les empêche pas de se comporter exactement de la même façon, pour se détendre et faire la fête, que dans les films décomplexés d’aujourd’hui. Comme une version plus sage et moins triviale d’American Pie, Everybody wants some, avec la même superficialité, présente une génération pour qui le sexe, la bibine et la fumette constituent une priorité – en dépit des études qui ne génèrent aucune inquiétude particulière -, et dans laquelle les étudiants les moins populaires sont ouvertement moqués. Quels que soient leur identité (rockeurs, sportifs ou théâtreux), leur type d’études ou leur activité extra-scolaire, chaque jeune « cool » se noie dans une marée uniforme où tout le monde est un pro du dance-floor, s’envoie en l’air, fume des joints et s’enfile des bières à tout-va. En cela, Everybody wants some s’avère particulièrement rétrograde par rapport à d’autres productions sur le même thème de l’adolescence. Devant cette montagne de lieux communs, on en viendrait à regretter les high school et les college comedies plus ou moins récentes, notamment The Breakfast Club et les deux Pitch Perfect, où aucune place n’était laissée à la catégorisation des étudiants et où l’émotion parvenait à naître d’une communauté, rutilant par la multiplicité même de ses identités et explosant de cette façon les codes du genre.

Bien loin du Linklater inspiré que l’on connait, Everybody wants some s’avère donc assez décevant, mais surtout tristement dénué d’originalité. Cette coquille vide, pourtant pourvue de situations amusantes et d’un casting rafraîchissant, ne parvient jamais à dépasser les stéréotypes qu’elle met en place et s’enferme dans un genre adolescent futile et sans grand intérêt déjà croisé mille fois dans diverses productions américaines. Face au regard très juste que portait Linklater sur l’enfance et l’adolescence dans Boyhood, force est de constater qu’Everybody wants some, avec son propos étouffé sous une bonne humeur qui peine à se communiquer pleinement, ne fait clairement pas le poids. Le film résonne donc comme une transition après l’expérience éprouvante qu’a dû être le tournage de Boyhood et sa promotion à travers les diverses cérémonies à grands prix. Alors que Linklater semble s’offrir une petite pause bien méritée avec ce film anecdotique, Everybody wants some appartient malheureusement à ce que le réalisateur a fait de moins abouti.

2 réflexions sur « Everybody Wants Some ~ Richard Linklater »

  1. J’ai entendu parlé de « Boyhood » mais je ne l’ai pas encore vu. Ce film dont tu parles n’est pas la meilleure façon de découvrir ce réalisateur. Je suivrais ton conseil et verrais d’abord « Boyhood ». Passe une bonne soirée Bises 🙂

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    1. Oui, il ne vaut mieux pas commencer par celui-ci, ce serait décourageant pour découvrir le reste de sa filmographie. Boyhood est un bon point de départ (mais attention, il faut prévoir trois heures dans son emploi du temps !), ou alors la trilogie Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight, avec Ethan Hawke et Julie Delpy, que j’aime beaucoup personnellement 🙂 Bonne soirée à toi aussi !

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