11.22.63 ~ Bridget Carpenter

/!\ Attention : cet article contient des spoilers relatifs au dénouement de la série /!\

Retour vers le futur

De nombreux romans de Stephen King ont déjà été portés sur grand écran : Carrie, Shining ou encore Dead Zone ont su retenir l’attention de prestigieux cinéastes tels que Brian De Palma, Stanley Kubrick et David Cronenberg. Côté télévision, on ne peut pas dire que les adaptations du maître du fantastique aient réellement marqué l’histoire. Récemment, la série Under the Dome, qui avait pourtant connu une première saison enthousiasmante aux yeux du public américain, s’est vue annulée au bout de sa troisième saison, pour cause d’audiences en baisse et de spectateurs visiblement déçus. Si le septième art a su très largement témoigner de son affection pour l’auteur le plus populaire de notre temps, le petit écran a bien du mal à en faire de même. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer : aujourd’hui, c’est à Bridget Carpenter de se lancer dans l’aventure, avec l’adaptation en mini-série de huit épisodes du best-seller 22/11/63, produite par J.J. Abrams et Stephen King lui-même.

11.22.63 suit les tribulations de Jake Epping, un homme vivant bel et bien dans son époque, le vingt-et-unième siècle. Ce professeur d’anglais, fraîchement divorcé et habitué d’un diner tenu par un de ses proches amis, sera investi d’une mission peu commune : revenir dans le passé pour empêcher l’un des plus grands traumatismes que l’Amérique ait jamais connu, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Pour Al, le propriétaire du diner à l’origine de cette entreprise de voyage dans le temps, le monde actuel se porterait bien mieux si l’ancien président n’était pas mort. Il amène donc Jake dans un mystérieux placard délabré, où ce dernier trouve le passage vers les années 1960. Un monde qui paraît au premier abord idyllique : les costumes, les vieilles voitures et le niveau de vie très peu élevé font de l’Amérique de l’époque une utopie apparente. Mais 1960, c’est aussi le temps des mœurs conservatrices, de la formation de jeunes soldats pour intervenir dans la guerre du Vietnam et surtout de la ségrégation raciale, qui sépare les lieux publics en deux. Une époque aussi, où un certain Lee Harvey Oswald, ex-Marine communiste reconverti dans la manutention et en prise avec le FBI, s’apprête à commettre un acte qui touchera les Etats-Unis en plein cœur.

Dans cette course contre la montre, la série s’annonce très vite prometteuse. Les trois premiers épisodes présentent une reconstitution du passé très réussie et une tension palpable qui investit les choix ainsi que le parcours du héros. L’intrigue policière se met doucement en place, lorsque Jake décide d’emménager dans l’appartement situé en-dessous de celui d’Oswald, dans le but de l’espionner et d’écouter ses conversations. Le fantastique fait aussi son apparition, dans des moments très brefs où la modification du passé entraîne des événements aussi étranges qu’inattendus. En plus de son ambiance intrigante, la série a l’intelligence de ne jamais montrer le visage de l’acteur qui interprète Kennedy, ce qui accentue le statut de symbole du politicien, alors porteur d’espoir et de renouveau. Cependant, dès le quatrième épisode, la série abandonne quelque peu ses enjeux d’espionnage pour se consacrer à l’histoire d’amour qui anime Jake et Sadie, une jeune bibliothécaire avec qui il travaille dans un lycée de Jodie, au Texas. La série bascule alors dans une romance mielleuse à souhait, montrant un personnage principal totalement aveuglé par ses sentiments et qui semble avoir vite oublié sa mission initiale et les raisons de sa présence dans le passé. De ce point de vue, les épisodes 4, 5 et 6 sont les moins réussis, révélant une intrigue amoureuse envahissante et des acteurs malheureusement trop lisses.

Après un septième épisode mal agencé, qui ne laisse aucune place au suspense et étouffe son intrigue policière dans un montage maladroit, la série se rattrape quelque peu dans son dernier volet. Si la question initiale – à savoir si Jake parviendra à empêcher l’assassinat de Kennedy – est très rapidement évacuée en début d’épisode, la série parvient à piquer notre curiosité en nous laissant entrevoir ce qu’aurait été notre société en 2016, si Kennedy avait (sur)vécu ce fameux jour du 22 novembre 1963. Là où le livre s’étend longuement sur ce monde parallèle, en décrivant précisément les événements qui ont mené l’Humanité à sa perte et au règne de l’anarchie, la série préfère rester élusive, se contentant de montrer une société post-apocalyptique trop mystérieuse pour répondre aux questions qui taraudent l’esprit du spectateur. Le sort de l’Humanité reste trop obscur pour nous satisfaire, mais ce passage a tout de même le mérite d’évoquer l’ambiguïté de la politique menée par Kennedy, qui, en dehors de son charisme et de sa popularité, n’avait rien du sauveur en lequel tous les Américains avaient fondé leurs aspirations. Mais une nouvelle fois, la question de l’effet papillon – à savoir les répercussions dans le présent de la modification du passé – est vite escamotée au profit de l’histoire d’amour, qui vient conclure en beauté le dernier épisode et la série entière. Si ce final à fleur de peau s’avère réussi, il n’en reste pas moins un goût d’inachevé quant aux problèmes historiques et politiques soulevés par le « non-assassinat » du président Kennedy.

Stephen King s’est manifestement très bien renseigné pour relater dans son roman les conditions – heure et lieu, indices trouvés sur place, enquête tortueuse – de l’assassinat de Kennedy et pour les transposer sur petit écran. Pourtant, il fait l’erreur de montrer Oswald comme le seul et unique responsable du meurtre, alors que sa culpabilité et le fait qu’il ait agit seul ont fait l’objet de nombreux doutes dans la réalité. Sans ses erreurs de parcours et ses raccourcis scénaristiques, 11.22.63 aurait pu gagner en profondeur et en complexité, et ainsi davantage bousculer nos idées reçues sur le sujet. Malgré tout, la série, par son traitement et les questions qu’elle soulève, s’inscrit bel et bien dans la lignée des œuvres audiovisuelles hantées par cet événement traumatique que sont le célèbre film Zapruder – archive censée donner la clé de l’enquête sur l’assassinat de Kennedy, mais qui n’a fait qu’alimenter les incertitudes -, Greetings et Snake Eyes de Brian De Palma ou encore le JFK d’Oliver Stone. Une nouvelle preuve que cette tragédie nationale n’a pas fini de torturer les consciences du monde entier et qu’elle constitue surtout un matériau passionnant pour tout créateur de fiction.

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