Lettre à Adam Driver

Cher Adam Driver,

Il paraît déjà loin le temps où je vous ai découvert dans la série Girls, il y a maintenant quatre ans. Je dois avouer que le coup de foudre fut immédiat : face à la terrible Lena Dunham et à son féminisme agressif, vous vous teniez là, gauche et sensuel à la fois, exposant un corps déjà capable d’exprimer une chose et son contraire. Il faut dire que votre physique est peut-être votre plus grande force : un gabarit démesuré, une moue boudeuse, une attitude d’agneau égaré, des yeux qui pétillent ; autant d’éléments peu communs qui vous permettent de passer d’un registre à un autre, de séduire tous les publics, d’incarner tous les types d’hommes, mais surtout d’échapper au stéréotype du play-boy, par lequel la plupart des acteurs de votre génération sont passés (Chris Hemsworth, Channing Tatum et Robert Pattinson pour ne citer qu’eux).

Très vite, après des petits rôles chez Clint Eastwood et Steven Spielberg, vous oscillez entre cinéma indépendant et blockbuster, où votre âme d’adolescent s’exprime pleinement d’un côté comme de l’autre. Noah Baumbach, dans Frances Ha et While We’re Young, joue avec votre côté frivole et vous montre tel un éternel éphèbe encore imberbe, sorte de dandy inadapté qui tente de se dépatouiller tant bien que mal face aux conventions de la vie adulte. Dans Star Wars VII aussi, dans la peau de Kylo Ren, le nouveau méchant de la saga, vos colères et vos doutes ont tout de la crise d’adolescence. Si ces rôles manquent un peu de maturité, ils font partie intégrante de votre personnalité : une part de votre âme refuse de grandir, et ces yeux pétillants que j’évoquais plus haut sont sûrement ceux d’un enfant bloqué dans le corps d’une grande personne.

Un enfant qui se révèle extrêmement doué pour la comédie, dont la force drolatique déjà exploitée par les frères Coen dans leur film Inside Llewyn Davis éclate pleinement dans This is Where I Leave You, où vous apparaissez aux côtés d’habitués du genre, à savoir Tina Fey, Jason Bateman et Rose Byrne. Vous n’avez pourtant rien à leur envier : vous trouvez parfaitement votre place dans un rôle de sale gosse au complexe d’Oedipe non résolu, qui a jeté son dévolu sur une femme cougar, de vingt ans son aînée. Si ce film choral est assez quelconque, il vous permet pourtant d’exprimer tout votre potentiel comique : le temps d’un gag, d’une réplique ou d’un regard malicieux, vous prenez possession de chacune de vos apparitions pour livrer une performance des plus hilarantes.

Cette veine clownesque est d’autant plus remarquable qu’elle s’oppose au rôle que vous tenez dans Hungry Hearts, film dramatique qui vous a valu votre seule récompense à ce jour. Vous y incarnez un père de famille qui doit se confronter aux croyances farfelues de sa compagne et sauver son fils du dépérissement dans lequel cette dernière l’a plongé. Le film met l’accent sur votre stature de géant face à la frêle Alba Rohrwacher, petite poupée de porcelaine en regard de votre mètre quatre-vingt-onze surplombant. Si elle manque parfois de subtilité, la caméra de Saverio Costanzo parvient à capter l’élégante difformité de votre visage, la rendant tantôt effrayante, tantôt réconfortante. Après avoir vu ce film où vous vous montrez investi de responsabilités d’homme adulte, il va sans dire que les rôles d’adolescents attardés vous mettent beaucoup moins en valeur.

Grâce à Jeff Nichols et à son Midnight Special envoûtant, vous trouvez le bon compromis entre comédie et drame, entre adolescence et maturité, entre grosse production et film d’auteur. Presque malgré vous, vous y exposez votre carcasse encombrante et burlesque dont vous ne savez que faire et votre visage, à la fois fasciné par les personnages qui se meuvent sous vos yeux naïfs et en vive demande d’affection de leur part, eux qui vous laissent tel un enfant abandonné durant toute la durée du film. De plus, même si vous n’apparaissez que très peu face à lui, réussir à exister dans le même espace-temps que Michael Shannon – la force tranquille incarnée, un monstre de cinéma aux traits terrifiants et au regard infiniment doux -, cela n’est pas donné à n’importe qui. La preuve, Joel Edgerton et Kirsten Dunst, des comédiens amplement plus expérimentés que vous, y parviennent difficilement.

Si votre place est encore à faire dans le paysage cinématographique actuel, il paraît évident que vous possédez toutes les clés en main pour y parvenir. Tout un éventail de genres, de personnages et de cinémas s’offre à vous, même s’il semblerait bel et bien que la meilleure voie à emprunter soit celle ouverte par le talentueux Jeff Nichols. Ce chemin prometteur pourrait bien être poursuivi par Martin Scorsese et Jim Jarmusch, deux grands réalisateurs qui ont choisi votre frimousse pour apparaître dans leurs prochaines productions et qui pourront définitivement vous faire entrer dans l’Histoire. Cher Adam Driver, n’en finissez jamais de grimper la montagne du succès, car les sommets ne sont plus très loin. Rendez-vous dans quatre ans, sur la Place des Grands Hommes.

4 réflexions sur « Lettre à Adam Driver »

  1. Que dire de plus ? Un billet qui rend vraiment hommage à cet excellent acteur qui est en train de construire une filmographie très intéressante !

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  2. Coucou ! je t’ai nominé pour le « Blogger Recognition Award » ou le « Liebster Award » ! Quand tu auras le temps, si tu veux tu pourras participer à l’un ou l’autre. Bonne journée à toi 🙂 🙂

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  3. Énormément de spectateurs ont découvert un physique juvénile pour le grand vilain Kylo Ren. Le regard s’est arrêté sur visage de « dandy inadapté ». Dans l’article en question, la personnalité d’un acteur paraît de nouveau au-delà de son apparence : félicitations. C’était une sensation identique et découverte dans Star Wars VII que je retrouve dans une « Lettre à Adam Driver ».

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