Cher Tom Hardy,
Je me souviens encore du jour béni où je vous ai découvert dans le film Warrior. Ce qui m’a d’abord sauté aux yeux, c’est votre allure de brute épaisse. Du haut de votre mètre soixante-quinze, vous apparaissiez comme une véritable masse de muscles, nanti d’une démarche particulière et prêt à décocher une droite au premier venu. Sous vos airs de bête sauvage, vous aviez trouvé votre place dans ce film de boxe où la violence physique était forcément de mise. Pourtant, une douceur se dégageait de votre regard, une faille s’exprimait sous vos silences, ce qui vous a permis de coller au plus près au propos émotionnel du film. Vous laissiez déjà entrevoir, derrière votre apparence de colosse, une tendresse inavouée, presque insondable.
Cette façade de géant vous a valu des rôles de psychopathes ou de grands méchants, comme ceux que vous ont offert Nicolas Winding Refn et Christopher Nolan. Ces deux rôles de composition vous ont permis d’exploiter votre part de noirceur intérieure et d’exposer au grand jour cette violence tangible qui régit chacun de vos gestes. Mais il faut bien l’avouer, les personnages que vous incarnez dans Bronson et The Dark Knight Rises, pourtant les plus importants de votre carrière, sont ceux qui m’intéressent le moins. Dans la peau de Charles Bronson, votre folie est bien trop tapageuse, votre jeu trop dispersé pour me happer totalement. En tant qu’ennemi de Batman, vous êtes certes terrifiant, mais votre fragilité se cache encore trop sous la surface pour pouvoir me subjuguer.
A l’inverse, des films comme Des Hommes sans loi ou Mad Max : Fury Road ne laissent pas, à mon sens, votre animalité s’exprimer assez. Trop sage dans l’un, soumis dans l’autre, votre être tout entier est tombé entre les mains de femmes de caractère. Jessica Chastain et Charlize Theron vous privent de cette fulgurance singulière, en vous priant de jouer les bons chefs de famille ou en prenant carrément les armes à votre place. Votre stature et votre charisme n’ont pas bougé d’un iota, mais l’on vous sentirait presque émasculé par tant de féminisme imposé. Par des erreurs de dosage, les uns vous font passer pour un mâle dangereux et irascible quand d’autres s’acharnent à vous dompter et vous déguisent en petite chose fragile à la merci de la gent féminine.
Là où je vous préfère, c’est dans les films qui parviennent à trouver un équilibre dans cette dualité qui est la vôtre. J’aime voir, d’un côté, votre bestialité, votre corps saillant se mouvoir sous l’effet d’une férocité incontrôlable ; de l’autre, cette sensibilité, flirtant parfois avec le romantisme, qui vous transforme subitement en être humain. Cette ambiguïté n’a pas échappé à Michael R. Roskam et Steven Knight. Dans Quand vient la nuit, vous revêtez le costume du mec ordinaire à qui il n’arrive que des choses extraordinaires. Vous semblez subir les événements comme un pauvre chien battu, jusqu’au moment où votre rage ne peut se contenir davantage. Dans Locke – où vous assumez le seul et unique rôle du film – c’est votre antipathie qui s’exprime d’abord, avant que n’émergent sous nos yeux une bonté et une dévotion insoupçonnées.
Grâce à cette bipolarité que vous maîtrisez à merveille, il paraissait donc évident que vous étiez l’homme parfait pour jouer dans Legend. Ce film de gangsters vous offre non pas un, mais deux rôles taillés sur mesure : ceux de Ronnie et Reggie Kray, terribles jumeaux de la pègre londonienne. Devant un tel cas de figure, il aurait été maladroit de séparer votre jeu en deux, de faire simplement s’affronter le Bon et la Brute. Heureusement, votre génie se situe dans la nuance : chacun des deux frères apporte son lot de prestance et de démence, et chacun se montre vulnérable à sa façon, l’un sentimentalement, l’autre à travers un complexe d’Oedipe non résolu. Votre dualité prend corps sur l’écran, plus incarnée que jamais. Si le film ne paraît avoir ni scénario ni véritable enjeu, c’est pour mieux devenir un écrin pour votre talent.
Il va sans dire, cher Tom Hardy, que vous êtes un sacré phénomène. Gangster, boxeur ou super-vilain ; dédoublé, en solo ou face à des monstres sacrés tels que James Gandolfini ou Nick Nolte ; farouche, sensible ou bien les deux ; sous l’œil de petits réalisateurs indépendants ou de gros magnats hollywoodiens, vous parvenez chaque fois à livrer une performance sensorielle et unique, grâce à ce charisme qui ne manque jamais de faire autorité. Avec votre toute première nomination aux Oscars pour votre rôle dans The Revenant – un film attendu qui nous réserve une prestation plus sanguinaire qu’émotive -, vous êtes définitivement entré dans la légende, et n’êtes pas près d’en sortir.
J’aime beaucoup tes articles sous forme de lettre. C’est vraiment intéressant et émouvant ! Je me suis beaucoup retrouvée dans celle-ci, étant également une grande admiratrice de Tom Hardy. C’est un très joli hommage que tu lui rends !
Legend, même si comme tu l’as souligné, est une film décevant à cause de son scénario et de son rythme, nous rappelle pourtant à quel point Tom Hardy est désormais un acteur incontournable.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup, ça me touche !
Oui, je trouve qu’en général, ce sont des films assez moyens qui lui offrent ses meilleurs rôles. Si Legend est vraiment ennuyeux, j’étais pourtant fascinée par ces deux Tom Hardy qui se mouvaient devant moi. Même dans The Revenant, il sauve totalement le film et vole la vedette à DiCaprio !
J’aimeAimé par 1 personne