Victoria ~ Sebastian Schipper

Nuit blanche à Berlin

Nombreux sont les films à donner l’illusion d’avoir été tournés en un plan unique. En 1948, Hitchcock relève le défi avec La Corde, en dissimulant son montage au sein même de la mise en scène. Plus récemment, Alejandro González Iñárritu a repris ce procédé dans Birdman, pour lequel il a reçu l’Oscar du meilleur réalisateur en ce début d’année. En revanche, rares sont les films à n’être constitués que d’un plan-séquence réel, sans pause ni coupure. Victoria, réalisé par l’allemand Sebastian Schipper, est de ceux-là.

Tout commence dans une boîte de nuit. Les lumières sont bleutées, des flashs nous éblouissent, une jeune fille danse avec ardeur au rythme de la musique. Cette jeune fille, c’est Victoria, une touriste espagnole déambulant dans les rues de Berlin. Nous la suivrons jusqu’au bout de la nuit, dans un voyage au bout de l’enfer, depuis sa rencontre avec Sonne et ses amis, des allemands sympathiques mais un peu louches, jusqu’au drame dans lequel elle sera impliquée bien malgré elle. Cette nuit blanche en compagnie de Victoria et des jeunes hommes qui l’accompagnent, nous la vivrons d’un seul souffle, sans temps mort, sans cut ni fondu au noir pour reprendre notre respiration.

Ce plan-séquence de deux heures et vingt minutes pose ainsi la question de la place du spectateur devant une telle prouesse technique. Les envolées lyriques sont nombreuses – la seconde scène dans la boîte de nuit est d’une rare beauté -, la tension entre les êtres est palpable, notamment lors de la scène où Victoria et Sonne font connaissance dans le petit café où elle travaille, les sensations se suivent et ne se ressemblent pas. Le spectateur est totalement plongé au coeur de l’action, au milieu des corps et proche des visages. Sur notre petit fauteuil rouge, il nous est aisé de ressentir l’énergie qui se dégage du groupe : leur soif de vivre, leur dynamisme, leur exaltation réussissent à nous toucher physiquement, à ébranler toutes les particules de notre corps.

Mais ce long plan-séquence parvient également à nous étouffer. L’émotion peine à naître, comme si l’absence de montage empêchait toute identification aux personnages, bloquait l’accès à leurs pensées et à leur intériorité. Si le choc corporel est bien réel, si l’expérience physique est puissante, le spectateur a finalement bien du mal à trouver sa place au milieu de ces individus dont il ne connaît pratiquement rien. Au-delà de la performance des techniciens, de l’improvisation des comédiens et de l’élan vital dans lequel toute l’équipe évolue tel un seul organisme, il manque ce petit quelque chose, cette touche romanesque qui aurait pu nous faire totalement chavirer.

Construit en dents de scie, le film nous perd pour mieux nous rattraper par la suite, ou inversement, nous captive avant de nous abandonner. Victoria, c’est les montagnes russes : une seconde au sommet, l’instant suivant au fond du trou. « L’effet nuit blanche » est en cela parfaitement réussi : on ressort du film le cerveau alcoolisé, l’esprit flottant et surtout avec l’impression d’avoir vécu beaucoup trop de choses pour tenir encore debout à une heure si matinale. Victoria, c’est souvent nerveux, parfois ennuyeux, mais toujours rempli d’intensité et d’effervescence. Un peu comme la vie.

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