Un homme d’exception
Chaque année, les biopics sont monnaie courante aux Oscars. Alors que Solomon Northup (12 Years a Slave) et Ron Woodroof (Dallas Buyers Club) triomphaient dans les grandes catégories en 2014, cette année semble également dominée par des hommes d’exception. A côté de Stephen Hawking dans Une Merveilleuse histoire du temps, Alan Turing a aussi droit à un film sur son existence hors du commun, pourtant méconnue. Un long-métrage qui, a priori, ressemble à tous ces films préfabriqués, à ces produits en boîte d’un classicisme compassé qui envahissent les salles obscures. Mais les boîtes de conserve peuvent parfois combler notre faim de bon cinéma, apportant tous les ingrédients nécessaires à une réussite notable.
Sans jamais sortir de son aspect programmatique, Imitation Game parvient à trouver son rythme de croisière. Passionnant de bout en bout, le film nous plonge dans les coulisses du grand conflit de la Seconde Guerre Mondiale, ne montrant que rarement les machines de guerre et les champs de bataille. L’horreur du combat reste donc le plus souvent hors-champ, laissant une place entière au destin d’Alan Turing, homme de génie amené à décoder la machine de chiffrement allemande Enigma. Avec sa petite troupe formée de trois hommes et d’une femme (elle aussi d’exception), Alan Turing nous fait vivre un huis-clos couplé d’une course contre-la-montre fascinante.
Si l’issue de cette lutte intellectuelle est évidemment connue, le film installe malgré tout un suspense palpable grâce à un montage efficace. Par des surimpressions bien pensées, le film nous fait ressentir le temps qui s’écoule et l’urgence de sauver des vies, pendant que ces cerveaux en ébullition s’attellent à leurs recherches. Une opération portée aux nues par cet inconnu d’Alan Turing, dont l’histoire personnelle se trouve être totalement bouleversante. Ce cryptologue asocial, solitaire et homosexuel nous attire au cœur même de ses névroses, où souvenirs d’enfance et sexualité contrariée se mêlent et nous aident à comprendre la complexité de cet être énigmatique. La romance professionnelle qu’il vit avec Joan Clarke atteint d’ailleurs des sommets d’originalité et de modernité : féministe dans l’âme mais enfermée dans les carcans de l’époque, Joan se montre combative dans un monde d’hommes, prête à simuler un mariage qui restera non-consommé pour pouvoir continuer à exercer le travail qu’elle affectionne.
Un sujet fort porté par Keira Knightley, qui a les épaules plus larges qu’on ne le croit, face à un Benedict Cumberbatch tout en retenue, lui aussi en prise avec un thème capital. L’homosexualité de son personnage – suggérée mais jamais montrée – pose des questions éthiques dans l’Angleterre des années 1940, où tout “attentat à la pudeur” se voit sévèrement sanctionné. Le comédien britannique se montre alors bien plus humain et vulnérable qu’il ne l’est dans la série Sherlock, même si les traits caractéristiques de ces deux personnages sont éminemment semblables. Cette nouvelle incarnation d’un homme aux capacités intellectuelles hors-norme vient alors poser la question de l’avenir de Benedict Cumberbatch au cinéma, qui semble pour l’instant condamné à se complaire dans ce genre de rôle. L’acteur au physique singulier pourra-t-il un jour jouer dans une vulgaire comédie romantique ou incarner un grand méchant légendaire ? L’avenir nous le dira.
“Ce sont ceux dont on n’attend rien qui accomplissent des choses que personne n’attend.” Si cette phrase est le véritable leitmotiv du récit de vie de ce prodige, elle s’avère également applicable à la réussite du film elle-même et à l’agréable surprise dont accouche Morten Tyldum. Dans un emballage certes classique, le réalisateur fait éclore des thématiques étonnantes, des personnages à la psychologie fouillée et donne vie à une émotion inattendue. Contrairement à d’autres longs-métrages en compétition tels que Wild ou Invincible, également récits de destins exceptionnels, Imitation Game fait preuve d’une efficacité qui s’avère finalement peu aisée à atteindre.