La Nuit du chasseur
Lou Bloom est un chasseur. Un chasseur de scoop assoiffé, prêt à tout pour être le premier à mettre la main sur l’événement sanglant qui secouera les informations locales. Prêt à tout, le mot est faible. Car Lou n’est pas qu’un simple mec borderline, qui erre tel un animal nocturne à la recherche d’un boulot. Dès sa première apparition, son personnage exprime toute son ambiguïté : derrière son visage halluciné, ses cheveux gras et ses yeux exorbités se cachent à la fois une violence inouïe, qui le poussera à éliminer les obstacles quels qu’ils soient, et une détermination admirable dans sa volonté de monter les échelons. Cet individu est rempli de bonne volonté et de savoir-faire et affiche une ténacité incomparable quant à l’apprentissage du métier, partie technique comme commerciale. Lou Bloom s’attire tout de même nos foudres, tout en continuant de nous captiver. Il nous embarque aux confins de la morale en franchissant la limite à ne pas dépasser : c’est lorsqu’il commence à mettre en scène les accidents qu’il filme, à s’introduire par effraction chez les victimes, à capter des images extrêmement obscènes ou à orchestrer de façon diabolique cette grande mascarade finale que Lou nous laisse médusés.
Médusés, nous le sommes devant cet énergumène ambivalent, mais aussi devant le monde de la télévision auquel il vend ses trésors filmiques. En quelques plans, Dan Gilroy nous fait ressentir l’omniprésence des informations, qui inondent nos chaînes de télévision et nos ondes radios. Et dans cet univers impitoyable, tout est calculé par des hommes qui ne sont plus que des vampires, qui se nourrissent littéralement du sang des victimes qu’ils donnent à voir aux yeux du monde. Ces loups sont prêts à payer un reporter indépendant pour des images choquantes et jouent sur l’attente du spectateur comme le ferait un cinéaste avisé. Lors d’une diffusion en direct d’une vidéo de Lou, la télévision dépasse les bornes. Nous assistons, interloqués, à la corruption d’images déjà extrêmement malsaines. Les producteurs sont en régie, tapis dans l’ombre, et glissent dans l’oreillette des présentateurs des consignes tendancieuses pour faire monter la pression chez le spectateur. Le vice est poussé à son paroxysme, et la critique de la télévision est d’autant plus acerbe qu’elle est faite au sein même de ses mécanismes.
Vient s’ajouter un regard extrêmement cynique sur la violence qui règne dans notre enfer terrestre. Une violence banalisée par les médias et dont se délecte tout spectateur lambda devant son poste de télévision. En jouant sur l’horreur des faits accomplis et la perfidie d’un système en lequel on ne peut plus croire, Dan Gilroy nous balance entre diverses émotions. Dégoûtés par tant de pourriture humaine, nous avons quand même envie de laisser éclater notre joie devant tant de génie scénaristique. Car contrairement à Drive (auquel on serait tenté de le comparer), Night Call n’est pas un objet purement esthétique, mais bien une histoire satyrique, renversante et unique. Et lorsque les derniers plans se dessinent, Dan Gilroy nous scotche une ultime fois, car nous ne savons plus ce qui est le pire : que Lou Bloom continue à malmener de nouveaux stagiaires qui ne savent pas à qui ils ont affaire ou que l’amour du sensationnalisme se propage à de nouvelles générations, tel une tumeur maligne dont l’Humanité ne pourra se relever.