Time is running out
Dans notre société actuelle régie par le culte de l’image et de l’apparence, le temps est notre pire ennemi. Maria Enders, personnage principal du nouveau film d’Olivier Assayas, en subit les lois intransigeantes dans un univers tout aussi impitoyable : celui du spectacle. Alors qu’elle connut le succès à dix-huit ans dans une pièce intitulée Maloja Snake dans le rôle de Sigrid, une jeune fille dominatrice, elle se voit proposer vingt ans plus tard le rôle opposé à celui qui fit sa renommée, celui d’une femme vieillissante et fragile nommée Helena.Affublée de son assistante Valentine, à qui elle délègue toutes les responsabilités de son existence effrénée, Maria devra faire face aux aléas du métier et aux pièges que le temps lui tendra.
Après un dernier film médiocre (Après mai en 2012), Olivier Assayas revient sur les chapeaux de roue avec un film complexe et hybride, pas toujours passionnant, mais souvent ambitieux. A l’image d’All about Eve de Joseph Mankiewicz, Sils Maria met l’accent sur la difficulté à voir le temps filer entre nos doigts et sur la lourde tâche qu’ont les actrices de passer le relais à une génération plus jeune, sans talent mais avide de gloire. Même si Maria évoque une possible liaison entre elle et le metteur en scène qui l’a révélée, son succès est uniquement dû à ses performances d’actrice et à son travail acharné. La nouvelle génération, elle, incarnée par Jo-Ann Ellis (qui succèdera à Maria dans le rôle de Sigrid) ne se nourrit que de célébrité gratuite.
Orgueilleuse et écervelée, Jo-Ann (qui apparaît sous les traits d’une Chloé Grace Moretz parfaite dans un rôle de peste) est toujours suivie par une horde de paparazzis en délire, tourne dans des blockbusters idiots, mène une vie débridée et se ridiculise sur le net. Adulée par les jeunes de son époque (dont fait partie Valentine, qui déclare que la jeune femme est son actrice favorite), Jo-Ann est la parfaite anti-thèse de Maria. Devenue célèbre grâce au tapage médiatique dont elle fait l’objet, Jo-Ann creuse l’écart entre elle et son aînée : autrefois, les actrices servaient encore l’art cinématographique ; aujourd’hui, seules comptent l’image publique et la notoriété.
Juliette Binoche, de son côté, incarne parfaitement la comédienne face aux désillusions de la vie et aux aléas du temps. Tantôt hystérique, tantôt douce, Binoche donne au personnage de Maria une ambiguité bienvenue, une force inouïe et une beauté saisissante. A côté d’elle, Kristen Stewart paraît encore bien fade, même si son personnage se veut beaucoup moins impulsif et plus mature que celui de Maria. Son visage atone crée un contraste incroyable avec l’énergie et la luminosité que dégage Juliette Binoche. A tout juste cinquante ans, l’actrice française sert le discours du film et prouve qu’une comédienne expérimentée vaut bien plus que deux débutantes réunies.
Le propos fait mouche, mais le dispositif pêche un peu par sa longueur et son côté trop bavard. Les séquences de répétition de la pièce s’enlisent parfois, même si celles-ci sont assez déstabilisantes. De façon moins vertigineuse que l’a fait Polanski dans La Vénus à la fourrure, Assayas fait s’embrasser la réalité et la fiction avec grâce, de manière à ce que certains dialogues englobent à la fois les sentiments profonds de Maria à l’égard de son assistante et les véritables répliques de la pièce qu’elle répète. Les dialogues sont souvent interminables et les séquences paraissent tourner en rond jusqu’au sublime épilogue, où Maria Enders trouve l’occasion de se reconstruire dans un rôle digne d’elle, celui d’une femme éternelle et hors du temps.