The Show Must Go On
Ron Woodroof est un texan pure race : machiste invétéré et adepte de rodéo, homophobe et alcoolique, celui-ci ne s’attendait pas à contracter un jour le virus du sida, considéré au milieu des années 1980 comme une “maladie de tapette”.Ron se prend la réalité en pleine figure et se met en quête de médicaments miracles. Après avoir découvert la nocivité de l’AZT, produit vendu par des laboratoires pharmaceutiques opportunistes, Ron refuse de finir ses jours sur un lit d’hôpital. Il chausse ses santiags pour entreprendre un combat acharné contre le système médical, et ouvre le Dallas Buyers Club, accompagné de Rayon, toxicomane et transsexuelle. Ils forment à eux deux les Bonnie et Clyde des temps modernes et militent pour le droit de se soigner par ses propres moyens.
Nombreux sont les films ayant déjà traité de la dure réalité du sida, (parmi eux, Philadelphia et plus récemment, Ma Vie avec Liberace) si bien que le sujet semble aujourd’hui usé jusqu’à la corde. C’est pourtant le thème choisi par Jean-Marc Vallée, réalisateur canadien déjà en prise avec des questions de tolérance dans son ancien film C.R.A.Z.Y. Difficile de passer après des cinéastes à l’identité très forte tels que Jonathan Demme ou Steven Soderbergh, mais Dallas Buyers Club parvient pourtant à sortir des sentiers battus, avec humour et simplicité.
En mettant en lumière un aspect méconnu de la maladie, Dallas Buyers Club aurait pu facilement tomber dans les convenances du genre. Il se distingue pourtant de ses prédécesseurs en adoptant une légèreté bienvenue, loin de tout pathos moralisateur. Malgré les nombreuses séquences à l’hôpital, le film reste sobre et ne tombe jamais dans une démonstration exacerbée des souffrances ou dans une exhibition de corps malades. D’ailleurs, Jean-Marc Vallée coupe court aux scènes pathétiques, avant que celles-ci ne deviennent trop oppressantes. Défaut de savoir-faire ou parti pris respectable, la limite reste confuse, mais si certaines scènes manquent de grandeur, les pièges du mélodrame larmoyant sont contournés avec brio. Cependant, le montage fugitif de certaines scènes semble écraser de façon latente le jeu de Matthew McConaughey.
Les côtes saillantes, les joues creuses et les jambes flottant dans des jeans délavés, l’ex-beau gosse de Magic Mike semble avoir mis toutes les chances de son côté pour livrer une prestation des plus admirables. Mais il serait hasardeux d’assimiler immédiatement perte de poids et qualité de jeu. Car au-delà de sa transformation physique, McConaughey est peut-être trop performant. Constamment en lutte pour pouvoir exister dans des plans trop courts, l’acteur a tendance à surjouer et se fait irrémédiablement voler la vedette par un Jared Leto transfiguré. Pris d’une fascination morbide pour le personnage de Rayon, Jean-Marc Vallée laisse à Jared Leto toute la place dont il a besoin pour explorer une fragilité féminine qui lui sied à merveille, si bien que lorsqu’il apparaît en costume d’homme, celui-ci semble totalement dénaturé. Rayon illumine littéralement l’écran à chacune de ses apparitions et emporte immédiatement l’adhésion du spectateur face à un McConaughey trop en force.
Les deux personnages se complètent pourtant parfaitement, l’un d’une violence et d’une noirceur certaines, souvent antipathique, l’autre vibrant de féminité et d’émotion, prêt à se briser à tout instant. Jean-Marc Vallée se démarque également en présentant ses personnages, non pas comme des victimes mais comme des guerriers en lutte contre eux-mêmes. Leur rédemption n’est d’ailleurs jamais religieuse, leur rapport à Dieu toujours ironique, lorsque l’on découvre que Ron prie en fait devant une strip-teaseuse et que Rayon se met sur son trente-et-un pour son rendez-vous avec la mort. Alors que Rayon succombe, Ron replonge dans l’alcool et subit une défaite judiciaire. Ses lubies les plus sombres réapparaissent (sous la forme d’un clown triste) mais ce dernier ne perd pas pied pour autant. Après avoir ramené un peu d’espoir dans une société aveugle et lugubre, Ron revêt le chapeau du cow-boy vengeur, remonte en selle et reste figé dans l’arène, tel un héros westernien s’éloignant vers l’horizon du Far West.